19. Andropause

Marc-Pierre  ne connaît pas l’échec, ou peut-être y a-t-il de nombreuses années, des peccadilles qui n’ont laissé aucune trace. Sa vie durant il s’est élevé à la force d’une volonté acharnée, et rien ne pourrait l’arrêter dans son élan. La vie est une lutte, mantra laïque, pour ainsi dire, issue de ses lectures marxistes qu’il avait plus ou moins assimilées, était sa devise.

Jusqu’à ce jour.

Il voyait les lèvres de sa médecin remuer sans qu’aucun son en restitue un sens intelligible. C’était tout simplement inaudible.

Son regard fixa un point au-dessus de la bibliothèque derrière cette femme qu’il connaissait depuis des années et en qui il avait toute confiance.  

— Tu as compris ce que je te dis ?

— Mais c’est quoi cette connerie ? arriva-t-il à articuler avec difficulté.

— Je te le répète, plus doucement, d’accord… L’ensemble de tes symptômes physiologiques et psychologiques est dû à une baisse de la testostérone. C’est normal en vieillissant. L’andropause survient entre 45 ans et 65 ans, généralement autour de la cinquantaine. C’est comme la ménopause, si tu préfères, mais pour les hommes.

— Je ne saisis pas ce que tu me dis.

— Il n’y a rien de grave. T’as un peu tardé à venir m’en parler, ce que je peux comprendre. Peu d’hommes de ta génération évoquent ce sujet.

— Mais j’ai à peine 64 ans ! Avec une énergie de jeune homme…

Sa médecin lui adressa un sourire peu amène :

— N’exagérons pas… Tu peux te faire accompagner.

— Les femmes sont habituées, mais nous, mais moi… J’y crois pas ! C’est n’importe quoi ! Je n’ai jamais entendu parler de ce truc ! Et tu peux faire quelque chose ?

— Oui, comme je te l’ai dit, te donner un traitement à la testostérone.

— C’est ridicule, n’y pense même pas.

— La nouvelle semble te perturber…

— On le serait à moins, tu ne penses pas ?

— L’andropause est simplement le signe du vieillissement, pas la fin de ta vie d’homme.

— Mais ce qu’on m’a raconté sur cette foutue virilité jusqu’à mon lit de mort est un mythe ?

— Oui, seuls les hommes, et pas tous, y croient dur comme fer. L’andropause est malheureusement très peu étudiée par des scientifiques, enfin les boomers surtout qui dominent sur le marché, empêchant tout exploration dans ce domaine. Les jeunes générations progressivement, parfois péniblement, font avancer ces études et ouvrent de nouvelles voies. Cela étant dit, il serait peut-être temps de cesser de faire des enfants à 68 ans, par exemple, pour montrer que l’on peut toujours. Il faut aussi penser au bien-être de l’enfant. Revenons à toi, Marc-Pierre, repose-toi et reviens m’en parler quand tu te sentiras mieux. Nous nous connaissons depuis suffisamment d’années pour échanger en toute franchise.

Marc-Pierre se leva, abasourdi par ces informations. La raison de cette consultation était son état général de fatigue incompréhensible, mais de là à se recevoir un coup de massue sur le coin de l’appareil génital, il ne s’y attendait pas.

— Marc-Pierre, une hygiène de vie saine est primordiale et…

— Ne me parle pas comme ça, s’il te plaît.

— Si cela peut te rassurer, certaines femmes aussi prennent mal l’annonce de leur ménopause, au début ; cette espèce de fatalité leur pèse. Elles se sentent mieux quand elles comprennent que leur vie de femme se poursuit. Tu t’y feras comme nous toutes. Tu apprendras à voir les choses autrement.

— C’est difficile, si brusquement.

— Ça ne prévient pas. Je te raccompagne.

Une fois dans la rue, Marc-Pierre chancela quelques pas avant de s’effondrer sur un banc. Le centre-ville semblait s’être vidé, il se rappela alors que c’était jour de marché.

D’ordinaire, à cette heure-ci, il était à son bureau, actif, plein d’entrain, un peu trop aux goûts de certains qui trouvaient qu’il surjouait la forme. Oui certainement a-t-il exagéré, une forme de déni du vieillissement. Oui, il a cédé aux chants des sirènes du jeunisme à propos duquel on vous serine de partout. Il s’est fait rattraper par l’andropause qui n’a rien d’exceptionnel contrairement à ce qui se prétend. Tributaire d’une hormone ! Mais pourquoi les hommes se sont-ils figurés qu’ils étaient au-dessus de ce phénomène naturel ?! Et comment a-t-il pu y croire ?!

Brusquement il se lève, veut voir du monde, se faire bousculer par la vie, les rues esseulées excavent sa perplexité. Peut-être devrait-il en parler à un ami, lui faire part de ses troubles, doutes… Un ami qui disposerait d’une ouverture d’esprit suffisante pour entendre ce que lui-même a du mal à avaler… Giorgio peut-être ? Il l’appelle. Au son de sa voix dans laquelle se lit une profonde panique, son grand ami répond qu’il le retrouve dans dix minutes, le temps de se préparer et d’arriver.

Ils sont attablés au café de l’hôtel de ville, par chance désert, en ce jour de marché à l’autre bout de la ville. Marc-Pierre ne sait pas par quoi commencer, tergiverse, son ami l’incite à se confier. Aussi il se lance et lui raconte sans détour ses derniers malaises, ses nuits d’insomnie, son inquiétude grandissante, son début de dépression, sans qu’il en comprenne la raison, se sentant et sachant hautement satisfait par sa vie, ses sueurs inexpliquées, ses vagues de chauleur gênantes, la graisse recouvrant sa sangle abdominale malgré une pratique sportive intense, une sexualité capricieuse… Rapidement Giorgio manifeste un malaise, se racle la gorge, demande de l’eau, s’agite sur sa chaise, peine à faire face à Marc-Pierre avant de lui préconiser sèchement de changer de médecin, de choisir un homme !, de ne pas se laisser embobiner par ces nouveaux concepts, une manière de leur vendre on ne sait quoi. Ils ne sont pas concernés par toutes ces conneries, la preuve les hommes peuvent avoir des enfants à un âge très tardif…

— Ce n’est pas un argument valable, insiste Marc-Pierre.

— Tu t’es fait retourner la tête, ressaisis-toi, va voir un médecin qui te donne des informations fiables.

— Ma médecin est précisément fiable. Je comprends ta réaction, j’ai eu la même. Mais toi, ressens-tu, disons, des symptômes similaires ?

— Bon, ça suffit Marc-Pierre.

Ils ne s’en diront pas plus.

La solitude de Marc-Pierre s’accrut en lisant dans le regard de Giorgio avec qui jusque là il avait partagé émois et questionnements, une lueur mauvaise, une méfiance nouvelle. Il était devenu un inconnu, un étranger au langage sibyllin à qui on ne tendrait pas la main. Face à l’inaudible, Giorgio réagissait aussi par de l’incrédulité.

Les deux amis se quittèrent dans un silence accusateur.

Marc-Pierre ne maîtrisait rien, pauvre de lui ! Il se serait presque apitoyé sur son sort si une bouffée de vie ne l’avait saisi par les narines. Il envia soudainement toutes ces femmes qui savaient vivre avec cette alchimie vitale et voulut l’apprendre lui aussi.
Où sont les femmes à qui demander la route à suivre ?

https://www.youtube.com/watch?v=fuzSeidoz2A Où sont les femmes ?

6 commentaires sur « 19. Andropause »

  1. Excellent sujet de questionnement. J’espère que des hommes tomberont sur cet article dans leurs recherches, au hasard. Belle journée à toi !

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  2. Intéressant article qui ne mentionne cela dit qu’une seule fois la sexualité à propos de l' »Andropause ».
    Il est évident, connu, su et notoire que la ménopause et l’andropause se distinguent en de nombreux points tout comme la poésie humaine de par le fait de nos incarnations nous distinguent fondamentalement et quels plaisirs!!!! De ce fait, il est évident que pour l’homme au delà de la mécanique de l’appareil urinaire-génital, il existe peu de conséquences hors celles communes liées au vieillissement qui sont certes physiques mais pour beaucoup psychiques, comme le décrit fort bien cet article. Un choc, certes, un choc de croissance, tellement naturel s’il en est.
    Concernant la sexualité, il est un fait et je suis très concerné par le sujet, en tant que sexa+3, Pour le vieillissement, je paye un lourd tribut en termes de conséquences d’un vie consommée par les deux bouts comme une chandelle, dans une intensité quelque peu hors du commun. Pour la sexualité, je ne sais pas ce qu’est une vie de couple, dès la naissance, issu d’une famille nombreuse, j’ai pu vivre ce que vie de couple signifie. et ce que j’ai pu en vivre et en voir m’ont rapidement offert de vivre par choix seul et pour des vies amoureuses et sexuelles totalement choisies et décidées en connaissance de cause par les deux parties sans vie commune. La sexualité, les sexualités ont ainsi toujours été vécues en parallèle de relations amoureuses exclusives et intenses, ardentes.
    Ces dernières ann&es, j’ai commencé à rencontrer des phénomènes de dysérections qui sont allés s’amplifiant, ne me posant aucun problème particulier puisque pour moi la pénétration dans le cadre de la relation amoureuse-sexuelle est réellement secondaire, voire accessoire. Et il en est aussi généralement ainsi pour les partenaires que j’ai connues dans ma vie d’homme. Mais une remarque de mon amie qui est infirmière un jour en passant m’a incité à consulter mon médecin traitant à propos du phénomène de la dysérection. Rendez-vous pris avec urologue et sexologue dans la foulée. Verdict: phénomène courant, habituel pour urologue et sexologue. Ces phénomènes là, sont de nature physiologiques, par différents aspects. Donc simplement à considérer, à prendre en compte, à prendre en charge. La solution Viagra sous forme « Tadalafil » (version non américaine du Viagra) est très simple et efficace instantanément. La prise en charge personnelle est ensuite très évidente et simple des plus naturelle.
    Mais bon, ce que j’ai à en dire c’est que vraiment ces histoires de sexualité/vieillissement masculin (et c’est aussi le constat de l’urologue autant que de la sexologue) sont vraiment totalement liés à des notions et représentations, images, conditionnement relatifs à la virilité, au masculinisée, au sexisme, au patriarcat et à toutes ces horreurs et aberrations sociales et éducatives,
    Amen!

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