Quand son téléphone sonna, le nom qui s’afficha ne présageait rien de bon. Brigou hésita. Réponds ? Réponds pas ? Réponds ? Réponds pas ? La curiosité l’emporta. Son agent ne l’avait pas appelée depuis… oh, une petite dizaine d’années… Réponds !
À l ‘époque, son agent lui avait soutenu que les rôles pour les femmes de son âge se raréfiaient, paraissait-il, en dehors de ceux octroyés aux quelques « grandes » comédiennes. Que reste-t-il pour le menu fretin ? avait demandé Brigou avant de lui demander d’être uniquement dérangée, la prochaine fois, pour un casting digne de ce nom.
Une décennie plus tard, l’agent semblait avoir trouvé le filon ou la donne avait évolué… Ou les multiples talents de Brigou (poète – vocaliste – interprète – compositrice – chorégraphe – comédienne – actrice – danseuse – parolière – scénariste – écrivaine – essayiste – photographe – plasticienne – modiste – scénographe – réalisatrice – nomade – etc.), sa relative notoriété, qui lui avaient permis de vivre et vivifier sa créativité intarissable, tout en s’attirant à chaque génération de nouveaux talents, la régénérant telle une phénix, la plaçaient désormais parmi les « grandes ».
Ses premiers mots furent : —« J’espère que tu te gourres pas cette fois » avant de marmonner un « bonjour » agacé suivi d’un « j’t’écoute ».
L’agent s’embarrassa de précaution et de flagornerie sans en venir au fait.
— Bon, arrête de circonvolutionner… Quoi ?! Oui le verbe n’existe pas… T’es pas la première à le remarquer, mais il se comprend très bien, alors que me vaut ton appel ?
Brigou écouta attentivement le monologue de son agent, se contentant d’émettre un « hum, hum » vaguement intéressé à intervalles réguliers, sans interrompre son interlocutrice qui lui expliqua en détail la chance d’avoir été appelée pour ce rôle, une grosse production, que des vedettes, des stars pourrait-on ajouter, internationales !!! et son rôle…
— Ah oui le rôle justement, quel est-il dans ta superproduction ?
L’agent raconta brièvement le scénario, une saga familiale, très en vogue en ce moment, qui retracerait également l’évolution du monde de ces cinquante dernières années.
— Rien que ça !!!
L’agent ne se laissa pas impressionner et poursuivit, insistant (un peu trop lourdement selon Brigou qui se garda bien de faire une réflexion) sur le fait qu’on ne pouvait pas passer à côté d’une telle aubaine.
— Ce rôle est donc bien payé pour que tu t’emballes de la sorte. Mais peux-tu me dire, enfin, quel serait le rôle…
… Silence…
— Allô, je ne t’entends plus… Ah si, voilà… Pardon ? Tu peux répéter ? (Brigou éclata d’un rire rageur.) Tu penses réellement que je vais accepter de jouer le rôle d’une grand-mère ?!!!! Comment ça, j’ai l’âge, et alors ? Quoi ? Une grand-mère sans le sou en plus et plus ou moins abandonnée par sa famille… Mais c’est quoi ce rôle ?! Tu t’imagines un instant être l’agent de Clint Eastwood par exemple et lui proposer des rôles de miséreux… À ton avis, il réagirait comment ? Il a l’âge lui aussi, bien dépassé comparativement à moi. 90 ans le bonhomme ! Et ça ne viendrait à l’esprit de personne de lui proposer de tel rôle, ni de le voir jouer de tel rôle. Mais moi oui, je peux jouer une pauvresse qui, je suppose, n’a pas d’amant séduisant… Non, bien sûr. À mon âge, on n’a plus de sexualité… Tu sais, il faut que je te dise, à mon âge, comme tu dis, je reste une personne normale, qui pleure, qui rit, qui s’amuse, qui fait la fête, qui se sent seule parfois, qui aime surtout, et qui aime ce qu’elle fait. Je suis une sexa swingueuse, très séduisante, pourquoi veux-tu que je revêts des haillons, que je joue une harpie, pour donner quelle image de la femme vieille ? J’ai une responsabilité en tant que comédienne. C’est trop te demander de me trouver un rôle normal… C’est quoi un rôle normal ?… Bah réfléchis, mais ce que tu me proposes, je n’en veux pas, je veux un vrai rôle, un rôle normal, je suis comédienne bordel !!!
J’aime ce groupe CCR, ma jeunesse !
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-:)
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Great music! Have a pleasant Sunday, my fiend Louise 🙂
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