Pour la huitième fois, en moins d’une demi-heure, Miranda vérifie les papiers dans sa sacoche : au complet.
Elle relève la tête, soupire, trouve le temps un peu long, faut dire qu’elle est arrivée en avance, trop en avance, les doigts la fourmillent, elle essaie de se retenir et vérifie pour la neuvième fois les papiers dans sa sacoche : au complet.
Un homme, jeune, à la chemise pas repassée vient la chercher, ah c’est son tour, elle veut lui montrer le premier papier, mais il la prévient qu’il n’est pas le bon interlocuteur, c’est l’assistant. Elle le suit, dans ce couloir long, trop long. Elle transpire, trop, a chaud. Il ouvre une porte brusquement, lui cède le passage et sans un mot repart, la laissant dans une pièce, seule, avec une table ronde et deux chaises. Elle attend, a toujours aussi chaud, change de chaise à plusieurs reprises puis vérifie pour la dixième fois les papiers dans sa sacoche, qu’elle étale carrément sur la table. Au complet. Elle les range consciencieusement quand entre dans la pièce une femme au parfum trop fort, au moment où elle allait glisser dans sa sacoche le dernier papier, celui de l’attestation de reconnaissance de la qualité de bénéficiaire de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés (OETH), prouvant qu’elle est bénéficiaire de l’obligation d’emploi des personnes handicapées par une entreprise du secteur privé ainsi que les établissements publics à caractère industriel ou commercial. Pour une entrée en matière, Miranda aurait plutôt tablé sur un échange cordial et, en fonction de l’évolution de l’entretien, sorti ce papier à la fin. En dernier ressort, en quelque sorte.
Mais bon, il a été vu. La discussion commence d’emblée sur ce sujet. C’est gênant, Miranda trouve la situation gênante, se triture les doigts, le répète encore, oh oui, c’est gênant, très, trop.
La femme la dévisage, elle n’en est pas sûre, on n’est jamais sûr de l’intention d’autrui mais la femme la dévisage. Miranda sait ce qu’elle cherche à voir… c’est le handicap, invisible dans son cas. Pour mettre à l’aise son interlocutrice, elle lui précise qu’elle a une maladie psychique et, comme elle s’y attendait, l’autre recule d’un bond et se heurte au dossier de sa chaise. Ah, les mots « maladie psychique » effraient toujours un peu trop, trop, Miranda le sait pourtant… L’autre veut en savoir plus, De quoi s’agit-il exactement ? Rien qui empêcherait de travailler, assure Miranda qui préfèrerait que l’on s’intéresse à son parcours professionnel. Elle est venue pour cette raison, il ne faut pas oublier.
La femme n’a pas l’air rassurée, De quelle maladie chronique souffrez-vous ? Miranda ne le sait pas, son médecin ne lui a pas dit, et tous les médecins suivants ne lui ont pas dit non plus, mais ce n’est pas le plus important, et elle a le sésame qui prouve qu’elle peut travailler comme n’importe quelle personne, rien ne s’oppose à son embauche, bien au contraire, il n’y a que des avantages avec une personne handicapée, de plus la loi l’y oblige… Miranda peut travailler en temps partiel, elle en a les capacités, à temps complet c’est impossible mais partiellement oui, c’est tout à fait envisageable, c’est pour cela qu’elle a répondu à l’annonce (CDI à temps partiel rappelle-t-elle) et qu’elle a été convoquée.
Mais l’autre insiste, Quelle maladie avez-vous ? Il faut penser au personnel, on ne peut pas comme ça prendre… N’importe qui ? propose Miranda, Oui n’importe qui est un bon exemple. Oui mais on embauche toujours n’importe qui. Quelle maladie avez-vous ?
L’autre ne lâchera rien. Faut trouver une parade pour avancer dans le dialogue.
Miranda se concentre en se repliant sur elle-même, que dit-on à une obtuse ? Ça y est, elle a trouvé.
— Je suis une femme magnifique et magnétique aux troubles psychiques qui ne voit pas (toujours) le monde comme il est, (mais il y a différentes façons de voir le monde).
La femme bouche bée la dévisage, Miranda en est sûre cette fois-ci, et balbutie Pourquoi j’embaucherai une femme quasi retraitée handicapée ?
Miranda pense : Parce que c’est la loi, imbécile ; Parce qu’il me manque des trimestres ; ou encore se jeter sur elle en hurlant « Boooouuuuhh », mais réflexion faite elle range le papier fautif dans la sacoche et s’en va sans saluer.
Trop c’est trop, non mais ce monde d’avant qu’est-ce qu’ils nius emmerdent avec leurs pions qui doivent rentrer dans les cases, même de force ! Miranda t’as bien fait, de tourner les talons.
Trop trop trop trop de cons !
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J’aime beaucoup sa réponse, je suis une femme magnifique et magnétique.
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Oui, » il y a différentes façons de voir le monde » Sans trop savoir pourquoi, je pense à l’instant au film poignant » Une femme sous influence »
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Ce film m’a également complètement bouleversé, merci beaucoup pour vos mots, très bonne journée, louise salmone
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Je voulais écrire bouleversée… erreur réparée…
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Toujors ce besoin de formater pour remplir les cases… Bravo Louise pour ce récit!
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Merci, :-), très bonne journée
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Bonne journée à vous aussi Louise!
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