L’assemblée a débuté de bonne heure. La salle est comble. Le brouhaha incontrôlable. Des mains se lèvent de partout. Une voix recommande plus de calme sinon l’on ne s’entend pas. Tout le monde s’en moque. La voix insiste. Un vague silence vole en rase-mottes.
Des esprits chagrins en profitent et objectent que ce n’est pas raisonnable.
La bulle de motus explose.
D’autres s’exclament qu’il faudra bien en passer par là de toutes les manières.
Un autre groupe, à la voix unanimement aiguë, s’égosille : les portes de l’association doivent rester ouvertes jour et nuit.
Les esprits chagrins s’interposent : Mais un peu de sérieux, vous savez bien que c’est impossible. Qui va tenir la permanence ?
Géraldine, une belle grande femme sexagénaire aux épaules carrées qui n’a pas la langue dans sa poche, lance de sa voix de stentor : C’est-à-dire ?
Ça chouine, couine, murmure, ah non pas elle, jamais bon que Géraldine intervienne, trop perchée, qui se dévoue pour lui expliquer sans la vexer ? Nul n’a envie de réveiller sa susceptibilité à fleur de peau…
Une voix anonyme s’écrie : C’est-à-dire que dans cette période très ambiante, il ne suffit pas de clamer paix et amour, et liberté beugle quelqu’un, à tout bout de champ, Géraldine, pour que cela apparaisse. Il faut aussi être réaliste, et pragmatique on braille dans le fond de la salle. Si on fait n’importe quoi, l’association sera menacée. Faut penser à l’avenir. Maintenir une permanence jour et nuit est au-delà de nos forces.
Géraldine insiste : Avec le petit noyau de retraitées et de retraités, on a décidé de venir vous apporter notre aide. On peut tenir la permanence….
Des waouh, youpi, cool, ouais d’accord, bonne idée, c’est un bon début, oui faut utiliser les vieux, elle a raison, retentissent.
: … Et préparer des soupes.
Ça bruisse puis soudainement, plus personne ne parle.
Géraldine s’emporte : Qu’est-ce qui ya ?
On entend les harmoniques d’un moustique. Quelqu’un ouvre une fenêtre.
Géraldine enfonce le clou : Qu’est-ce qui va pas ?
Plus personne n’ose prendre la parole, on regarde en l’air, ses chaussures, n’importe où sauf dans la direction de Géraldine.
Géraldine s’emballe: Mais c’est un monde ça, vous allez me dire qu’est-ce qui vous prend ?
Le moustique que personne ne cherche à tuer suce tranquillement les sangs.
Les plus jeunes se tournent vers les plus âgés et leur intiment de le lui dire.
Géraldine interloquée exige une explication.
Un long soupir collectif s’étire puis une voix de retraitée s’élève : Tes soupes sont dégueulasses Géraldine, personne ne sait comment te le dire, et personne ne comprend comment tu peux louper un plat pourtant simple mais elles sont vraiment dégueulasses, personne n’en veut. Aussi on voudrait que surtout tu ne t’occupes pas de la soupe. Tout le reste tu peux, mais surtout pas la soupe.
Contre toute attente, Géraldine regarde longuement toutes les personnes présentes en plissant les yeux : Très bien, on passe au vote. Qui est pour cette décision ?
Toutes les mains se lèvent sans l’ombre d’une hésitation.
Géraldine d’un air désolé prend acte de cette décision collégiale et ajoute une dernière fois pour toutes : Mes soupes dégueulasses réussissent quand même ce tour de force d’unir cette assemblée jusqu’ici dissonante.
Haha j’adore la chute ! Bien troussé ce petit récit.
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