31. On n’est pas là pour enfiler des perles

Il écrit à toute berzingue partout où il passe, oui j’imagine que vous avez dû avoir du mal à l’attraper. Pardon ?… Oui il se moque complètement de la qualité du support : pierre, carton, bois… Tout lui va. Je n’en suis pas spécialement fier, mais c’est mon père, je ne vais pas lui jeter la pierre. Comment lui est venue cette lubie ?… Si je puis me permettre, c’est un passe-temps éminemment sérieux pour lui. Il a commencé quelques mois avant de partir à la retraite, un jour, dans un tunnel où il est resté coincé pendant près d’une demi-heure pour cause d’embouteillage. De rage, il avait écrit sur les murs « on n’est pas là pour enfiler des perles », son côté rabelaisien, l’inscription y est encore, vous la verrez si vous allez à l’hypermarché le plus cher du coin.

Il a voulu renouveler l’expérience… Oui, l’on peut dire que cela lui a plu… Bien sûr que non il n’avait jamais écrit sur un mur auparavant. Pour qui le prenez-vous ?!

Jusque-là madame la Commandante divisionnaire, mon père s’est toujours tenu à carreaux, il n’a jamais cherché à nuire à quiconque, et il continue. Oui je l’entends très bien brailler, mais faut le comprendre. Vous ne pouvez pas le garder pour avoir écrit sous l’arc de triomphe « Vous n’allez pas nous rouler dans la farine » à la craie… Oui il n’écrit qu’à la craie, à la première pluie cela disparaîtra. Il ne détériore rien, madame la Commandante divisionnaire, vous le savez très bien. Oh il y a eu des plaintes quand il a utilisé les craies de couleur… un jet d’eau fera disparaître les mots. Oui il y a les pochoirs aussi, mais il se sert également de la craie. Ah, vous le gardez car il ne respecte rien ?! Juste parce qu’il a écrit à la craie « On n’est pas là pour enfiler des perles » et « Vous n’allez pas nous rouler dans la farine » ???? Si je suis au courant qu’il a aussi réalisé des pochoirs d’Angela Davis ? Non je ne savais pas… Et de Louise Michel ? Non je ne savais pas non plus… Et de Rosa Luxemburg ? Pas plus… Et de Kate Wangui ?… M’non… Et de qui ? Comment vous dites ? Ah oui Baatarsuren Shuudertsetseg !… Oui, oui, oui je soupire, et non, non, non j’ignorais ses agissements. S’il vous plaît, n’en jetez plus, je sais de quoi il est capable. Vous voulez que je sache jusqu’au bout ?! Soit, allez-y, je vous écoute. Oh, il a écrit devant votre commissariat « La répression n’a jamais été aussi violente que lorsque les mobilisations s’opposent au capital ou à l’impérialisme qui est l’une de ses facettes » une phrase signée Angela Davis. À la craie toujours je suppose, car en arrivant je ne l’ai pas vue.

Ah, et sur les marches du Palais de justice, il a écrit « La justice est indivisible. Une injustice commise quelque part est une menace pour la justice dans le monde entier. » Oui je sais que c’est aussi d’Angela Davis.

Oh devant les lieux de cultes, il a écrit « Nous devons parler de la libération des esprits autant que de la libération de la société », oui toujours d’Angela Davis je sais. Il a un lien particulier pour cette femme intellectuelle. Depuis son enfance. Personne n’y peut rien. Et je voudrais vous demander ?…  Merci… Où a-t-il écrit sa phrase fétiche d’Angela Davis : « Je n’accepte plus les choses que je ne peux pas changer. Je change les choses que je ne peux pas accepter. »… Sur les murs de la gare, sur la place centrale et sur la façade du musée national… Mais à la craie toujours, rassurez-moi ?…