57. #Diogène / Hashtag Diogène

Ils sont quatre à le recevoir, un l’observe, le deuxième prend des notes, la troisième lit son très long et impressionnant C.V., la quatrième va mener l’entretien. Diogène porte un patronyme si banal, et si répandu dans le pays, qui plus est un physique si passe-partout qu’il mise tout sur son prénom.

— Les Diogène, ça court pas les rues (Diogène aime rire).

D’un signe de tête de la meneuse, tout le monde comprend que l’entretien commence officiellement :

Si notre jeune start-up a souhaité vous rencontrer, vous un ingénieur très sexagénaire encore en activité,

— Pas loin de 65 ans, je n’ai pas encore tous mes trimestres et j’ai encore de l’énergie à revendre, je suis d’une génération de bosseurs. Ya pas de secret, juste de la volonté, du travail et une dose de chance.

c’est en partie grâce à votre réputation infaillible dans notre partie : le recyclage des matières premières.

Sur le marché actuel, vous êtes la personne idoine possédant une connaissance du terrain faramineuse, une grande

— voire colossale !

expérience dans la collecte et le recyclage des ordures ménagères, le stockage de déchets non dangereux, le tri des emballages ménagers, le compostage, la gestion des déchets, le recyclage organique, la réduction de l’empreinte carbone, la valorisation à 100 % des déchets, vous êtes le précurseur du « Zéro déchet industriel ».

— J’ai aussi tissé au fil des années des relations, des partenariats qui valent… de l’or. Autant le dire et rester humble. Ce monde n’a aucun secret pour Diogène (Diogène aime bien parler de lui à la troisième personne du singulier, parfois).

Vous savez saisir les opportunités, flairer le sens du vent et vous présenter au bon moment.

— Ya pas de secret, juste de la volonté, du travail et une dose de chance (Diogène aime bien se répéter).

Aujourd’hui, vos compétences nous intéressent au plus haut point.

— Recycler me passionne, depuis tout petit. « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme… » C’est mon côté Anaxagore. Un comble pour Diogène ! (Diogène ne perd jamais une occasion d’amuser la galerie, rire est une qualité à cultiver pour lui).

Un de la bande des quatre lui tend un questionnaire qu’il parcourt rapidement.

— Je dois réellement répondre à vos questions ? (lisant à voix haute) Êtes-vous prêt à manager les jeunes générations ? Comprenez-vous leur langage ? Pouvez-vous définir le mot hashtag par exemple ? (sans relever la tête) Un mot-dièse en somme (relevant la tête) Au Québec, ils disent mot-clic, c’est pas mal aussi je trouve (reprenant la lecture des questions) Comment communiquerez-vous sur nos réseaux sociaux ? (relevant la tête) Ça veut dire quoi ? Vous n’avez pas de community manager ? Parce que je ne vais pas me fader les fondamentaux du SEO ou le snacking content ? (repoussant le questionnaire devant lui) Bon parlons peu, parlons bien. Je ne suis pas là pour assurer la transformation digitale de votre entreprise, oui start-up si vous préférez, ça veut dire « jeune pousse » je vous rappelle, ah parfois faut revenir à la source, bon je poursuis… j’avance, j’ai pas toute la matinée devant moi. Je suis là pour développer du business qui vous permettra de lever des fonds. Après vous vous démerderez sans moi. Je vous montre tout ce que je sais, je vous donne mes contacts, je vous ouvre les portes. Deux jours de travail par semaine me suffisent bien amplement, pas la peine de faire de la présence pour de la présence, de l’efficacité avant tout, ya pas de secret, juste de la volonté, du travail et une dose de chance (Diogène aime beaucoup répéter cette phrase).

Je ne peux pas vous expliquer comment je fais mais ce qui est sûr est que je privilégie le contact humain, direct, pas de conférence à la gomme sur des écrans, je veux du concret, du terrestre, connaître l’odeur de mon interlocuteur, descendre dans l’arène en somme, vous trouvez que ça fait vieux jeu, on s’en fout du moment que ça ramène du client, et du client yen aura croyez-moi, je vais faire la promo de votre entreprise, oui start-up si vous voulez, à ma sauce. Et je le fais bien comme vous le savez, sinon vous ne seriez pas venus me chasser (Diogène glousse, il adore surprendre son auditoire). Je vais vous agacer, je vais faire mon mentor, ouais je vais le faire, parce qu’à mon âge et avec mon expérience je peux me le permettre, vous pas encore, alors vous allez en prendre de la graine. Je vais vous faire réfléchir à ce que vous n’imaginez pas encore. Vous allez me coller un p’tit jeune qui sort frais émoulu d’une de vos écoles, choisissez celui ou celle qui vous plaira, je veux qu’il me suive à la trace, qu’il vous fasse un rapport complet de tous mes faits et gestes. Nous y gagnerons en créativité et en rapidité. La coopération intergénérationnelle, faut le savoir, ça rapporte, cash et gros, voire énorme.

Le gamin me détestera très certainement mais on s’en fout complètement. Je le forme sans toucher à sa structure émotionnelle, je le respecte en somme. Je vous donne tout ce que j’ai et surtout on s’amuse. C’est ma façon à moi d’analyser les problèmes, car il y aura des problèmes donc des solutions à mettre en place. Question sagesse, j’ai échappé à deux infarctus, je ne fume plus, je ne bois plus, je bouge mon corps et je fais fonctionner mes neurones, donc forcément vous pouvez compter sur moi.

On prépare d’emblée les conditions de sortie, on va pas se mentir entre nous, ça gâcherait l’ambiance.

C’est ça que vous voulez, les jeunes, mon savoir-faire.  Après, vous me bazarderez. (Diogène n’est pas fou). Et vous avez bien raison.

En échange, vous m’épargnez vos conditions de travail à deux balles (avec baby-foot, cafétéria digne d’un salon de thé haut de gamme, salle de repos, open space, happiness manager, franglais imbitable), personnellement je parle espagnol et grec, je ne m’appelle pas Diogène pour rien (Diogène aime beaucoup rire), et j’ai quelques notions de wolof, de swahili et d’arabe, ça peut toujours nous aider. Je ne manquerai pas de vous servir à vous en donner la nausée mes deux phrases fétiches « Je cherche un homme » et « Ôte-toi de mon soleil », c’est plus fort que moi, mon côté Diogène (Diogène aime éclater de rire en entretien).

La moyenne d’âge de votre entreprise, oui start-up si vous préférez, est de 32 ans. Aucune personne de cet âge ne peut avoir mon expérience, malgré vos diplômes, et c’est déjà très bien mais ça ne fait pas tout. Donc en clair : associons nos forces.

Vous allez prétendre que je vais vous coûter cher… C’est vrai. On embauche pas un homme de presque 65 ans, surtout Diogène, au même prix qu’un junior.

Mais nous allons calculer ensemble votre retour sur investissement pour mon embauche et limiter au maximum les risques d’erreur. Nous allons écrire cela noir sur blanc, je peux mettre à votre disposition des juristes retraités de haute qualité qui ne vous coûteront pas un bras, contrairement à moi (Diogène explose de rire) ou nous nous contentons de votre juriste, comme il vous plaira. En temps voulu, je laisserai ma place au gamin ou à la gamine que j’aurai formé.

Je suis d’une génération de bosseurs pour qui la parole compte.

Je dois y aller, j’ai du boulot qui m’attend, vous savez où me trouver pour signer le contrat. Votre petite entreprise, oui start-up si vous voulez, me plaît bien, je serai ravi de vivre cette aventure avec vous, la dernière pour la route.

https://www.youtube.com/watch?v=_AoTA9B3Jww Ali Farka Touré ASCO

23 commentaires sur « 57. #Diogène / Hashtag Diogène »

  1. Bon sang, je vais prendre ce petit bonhomme pour m’aider à monter les escaliers. Besoin de ses conseils, de revoir l’angle d’attaque, le placement de la main sur la rampe et qui sait, la phrase fétiche.
    Louise, c’est la dèche!

    Aimé par 2 personnes

  2. Un peu plus et il était à deux doigts d’imiter son homologue..j’ai esperé qu’il en rajoute un couche sur les bienfaits de se frotter la panse.. Ou autre chose d’approximation.. Mais non Zut… Et puis cela aurait été tellement mal pris… Vous avez le tact !

    Aimé par 1 personne

  3. J’imagine la scène et je me marre, appréciant la chance de n’avoir plus à subir ce genre de réunion!
    J’aime votre manière d’appréhender une certaine actualité mais un petit bémol: votre Diogène me pait penser à un fameux hâbleur cher à Hergé: le vendeur d’assurances Séraphin Lampion!
    Amicalement à vous et continuez à nous faire sourire!

    Aimé par 1 personne

  4. Ah c’est drôle de d’entremêler le personnage à Séraphin Lampion, peut-être est-il « votre  » Diogène, allez savoir ?!… En tous les cas, c’est osé 🙂 🙂 🙂 Merci beaucoup pour votre lecture, très bonne journée

    J’aime

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