70. Proposition sérieuse

En une nuit, les affichettes avaient pullulé dans le quartier. Toutes les rues avaient été quadrillées ; pas un mur épargné, pas une vitrine oubliée, rien n’avait été respecté, pas même les immeubles classés. Certaines avaient été collées si haut que l’équipe municipale de la voirie ne disposait pas des appareils adéquats, si bien qu’il revenait aux particuliers de faire nettoyer les endroits « endommagés » à leurs frais.

On prenait l’affaire très au sérieux. On ne parlait que de ça.

Provocation artistique ?

Appel à l’aide, telle une bouteille jetée à la mer (humaine) ?

Message subliminal  sur une situation qu’il serait urgent d’analyser, voire qu’il faudrait ?

Pistes de sujets de réflexion ?

Mais la première question qui passait de lèvres en lèvres est :

Qui a collé ces affichettes en pleine nuit ?

Une seule personne n’en aurait pas eu la capacité… Une escouade ne serait pas passée inaperçue… Personne n’a rien vu, personne n’a rien entendu, personne n’a rien soupçonné, personne n’a rien pressenti. Pourtant tout le monde se connaît dans le quartier et personne n’a eu connaissance d’inconnus qui auraient traversé le secteur entre hier et aujourd’hui.

Qui a bien pu « s’amuser » à coller des affichettes à des hauteurs parfois dangereuses et avec quel matériel ?

Personne n’a eu vent d’élévateur récemment loué, de pots de colle achetés en grande quantité, d’affichettes imprimées en toute autant grande quantité.

Pourquoi ce quartier ?

Il ne pouvait s’agir que d’une personne d’ici, quelqu’un de leur entourage, ou peut-être même quelqu’une.

Tout le monde était concerné. Tout le monde se dévisageait. Tout le monde se questionnait.

On voulait enlever ces mots étalés au plus vite. Ça dérangeait. Ça faisait tache. On voulait passer à autre chose au plus vite. On releva ses manches et on gratta à tout-va les mots qui tombèrent en lambeaux dans la rue avec les moyens du bord, parfois en corde de varappe à partir des toits pour atteindre les endroits les plus inatteignables, on chassa ces paroles que l’auteur ou l’auteure n’avait pas daigné signer et qui disaient :

Je souhaite rencontrer une personne qui m’empêche de tourner en rond, qui me dérange dans mon train-train

Je souhaite rencontrer une personne qui m’empêche de croire que la vie se finit dans un ronronnement sans éclat

Je souhaite rencontrer une personne qui sera ni ma sœur ou mon frère, ni ma mère ou mon père, ni mon infirmière ou infirmier

Je souhaite rencontrer une personne qui est mon âme-sœur mais qui refuse toute relation fusionnelle

Je souhaite rencontrer une personne qui trouble ma sieste ou ma lecture pour le plaisir de me faire une bise

Je souhaite rencontrer une personne de mon âge, ou à peu près, la discussion est ouverte, pour partager des moments entre gens qui ont vécu

Je souhaite rencontrer une personne que j’aime et qui m’aime pour une dernière bonne tranche de vie

Il se peut même que je vive à vos côtés, que nous partagions déjà le même lit, la même table, je vous en prie regardez-moi

Et si cela n’est pas le cas

Montrez-vous simplement,

Je vous reconnaîtrai aussitôt,

Ceci est une proposition sérieuse.

https://www.youtube.com/watch?v=2sPC8HsXxik J.P. Rameau Les Sauvages (Les Indes galantes)
https://www.youtube.com/watch?v=TfQJZ76WR0U J.P. Rameau Les Sauvages (Les Indes galantes)

22 commentaires sur « 70. Proposition sérieuse »

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :