Smoking YSL sur mesure, bottines en satin sur mesure, tenue d’avant-garde dorénavant classique, comme l’avait prédit monsieur Saint Laurent « (…) c’est un vêtement de style et non un vêtement de mode. Les modes passent, le style est éternel. » sacré Yves, toujours le mot pour rire !
Ainsi, La maestra fait son entrée, dans l’indifférence générale, suivie par « son » contrebassiste, fidèle complice, et une jeune saxophoniste d’une trentaine d’années au moins sa cadette.
Dans la salle bondée de mondanités s’élève un concert de conversations entremêlées, de tintements de verres, de claquements de couverts, de rires aussi bien aigus que graves sans tempo d’une puissance sonore à la limite du supportable.
Le trio s’avance vers le piano droit, plus adapté à l’endroit, placé sur une estrade sur les indications de la maestra, face à la baie vitrée dans laquelle se reflètent les lumières, le bar, les visages, les corps assis, certains déjà avachis, le personnel déambulant avec agilité entre les tables, les chaises.
La maestra soulève le couvercle de l’instrument et plaque quelques accords pour s’échauffer les doigts. Le contrebassiste s’installe à son rythme. Elle ne le bouscule pas. Pourquoi faire ? Ce serait contre-productif. Elle sait comment se comporter avec lui. Ils ont bourlingué à travers le monde, été amants parfois, toujours loyaux l’un envers l’autre. Cet homme figure mine de rien parmi les plus grands, les meilleurs jazzmen, et pour rien au monde elle ne changerait de partenaire. Son plus grand défaut est de consulter trop souvent sa montre dans ce genre d’endroit. Bon, elle ne va pas lui jeter la pierre. Elle-même s’en passerait, mais ici, dans les pires conditions, c’est idéal pour faire passer une audition en live à la jeune saxophoniste, pour voir un peu, beaucoup, passionnément, ce qu’elle a dans le ventre. Il faut savoir faire ses preuves.
La mignonnette désarçonnée, incapable de cacher sa déception, s’attendait à autre chose, quelque chose de plus… de plus professionnel, de plus… à la hauteur de la réputation de la maestra qu’elle ne quitte pas des yeux. En vain. Elle ne devra compter que sur elle-même. Elle essaie de rassembler la brassée de mots que la maestra lui a balancés avant d’entrer en scène, si on peut appeler ça une scène… : « tu devras jouer sans te préoccuper de personne, et vice versa. T’es avec nous, on te laissera pas tomber mais tu vas devoir te surpasser. Ce soir, peut-être, oui peut-être, tu arriveras à capter une oreille, une oreille attentive, et peut-être connaisseuse, qui se tournera vers le trio et l’écoutera pendant que les autres brailleront, ivres et rassasiés. Avec un peu de chance, plusieurs oreilles, mais dans ce contexte luxueux c’est extrêmement rare. » Qu’a dit encore la maestra ? Ah oui : « Tu ne devras en aucun cas te laisser déstabiliser. Impose ton style dans l’arène la moins encline à percevoir la subtilité du jazz. Tu entendras des applaudissements, peut-être, à contretemps bien souvent. Mais si les notes te portent au-delà de cette assemblée insensible et ignare, l’avenir t’appartiendra. »
Miles Davis promettait Paris, la maestra déploie le monde.
Bon, revenons-en à nos moutons.
Le trio une fois en place, le contrebassiste sans prévenir démarre sur un morceau de Wayne Shorter repincé à ses cordes, la maestra enchaîne dans un accompagnement alerte et relevé avant d’un geste discret laisser libre cours aux improvisations du saxo ténor. Le jeu intense et inspiré de la jeune saxophoniste apporte de tels moments de grâce que la maestra ne peut lui tenir la dragée haute bien longtemps, pour son plus grand bonheur.
Les standards revisités se suivent sans interruption et sans que le trio ne se préoccupe du public distrait de toutes les manières.
Après le dernier morceau, le trio plie bagages avec leurs instruments, piano compris, sans oublier le cash et ciao la compagnie.
Dehors, il fait bon, le silence leur nettoie les oreilles, ils respirent enfin.
Alors ? la question brûle les lèvres de la jeune saxophoniste.
La maestra la fait un peu lanterner, ravie par cette soirée désastreuse pour ces joueurs de jazz aguerris qui a permis de dévoiler un tel talent.
Oui le procédé est féroce mais fécond.
Demain soir, si le cœur lui en dit, la saxophoniste pourra jouer devant un vrai public. « T’as le souffle du jazz, et le tien est si… novateur ! Tu me donnes envie de perfectionner plus encore mon piano et ça c’est de l’or, je ne te remercierai jamais assez. Chut, ne dis rien, ne te désole pas d’être brillante, au contraire… Montre-toi. T’iras loin, tu verras… Alors ? Bah on se dit à demain ! »
On débute cette journée en swinguant à votre lecture… malgré l’ambiance un peu déprimante du public que vous nous servez.
La maestra, je ne sais pas pourquoi, me fait penser à Marie Paule Belle, surtout en la revoyant de mettre au piano. Mais la ‘jeune saxophoniste’ évoque aussi, pour moi, la famille Carling, avec cette incroyable musicienne qu’est Gunhilde avec notamment sa fille Idun, parfois ses parents, son fils… bref, une famille bien dans la note de l’ambiance de votre magnifique texte.
Bonne fin de semaine musicale !
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Merci pour votre lecture et j’apprécie beaucoup votre référence à la famille Carling, oui, oui, Gunhilde Carling est très bien ! Et Idun ma foi, oui, quel talent !!!! Très bon week-end jazzy ! 🙂
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Sacrée maestra! Bravo! Encore et encore!
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vive la musique !!
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Quel ennui sans !!!! 🙂 Très bon week-end
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:-), merci à vous, très bon week-end
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Bon week-end Louise! ☀️
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🌹🌹🌹
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Merci, très bon week-end, 🙂
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🙂
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que c’est beau! Bon week-end en musique 🙂
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Ce texte est très beau
et magnifiquement construit.
Il nous plonge avec ravissement
dans l’univers si particulier des musiciens.
C’est dans la fosse des vieux fours
que se révèle le mieux le potentiel des soufflés.
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:-), Ah c’est très bien dit « … la fosse des vieux fours que se révèle le mieux le potentiel des soufflés ». Merci pour votre lecture, très bon dimanche
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🙏💜🙏💜🙏
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Bon dimanche
Bon soufflé au fromage
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🙂
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On en jase encore.
Lors de son dernier solo, la saxophoniste (alto ?) avait atteint la fluidité, l’élan tourbillonnant, l’étincelle musicale prolongée d’un Paul Desmond qui portait déjà « le côté féminin du monde » si joliment décrit par Alain Gerber… 🙂
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Excellents références, :-),
merci pour votre lecture et le clin d’oeil d’Alain Gerber, très bonne soirée
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Merci pour votre lecture, très bonne journée à vous
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