84. Paroles d’ange

Les canettes d’une boisson à base de taurine et de caféine s’accumulaient sur la table ronde de bistrot. Cet unique breuvage qu’il s’accordait lui permettait de rester éveillé au maximum de jour comme de nuit, non sans dommage, mais il avait dépassé ce stade depuis longtemps. Nulle inquiétude ne le perturbait ; il ne craignait tout simplement rien !

Le serveur lui avait déjà expliqué à plusieurs reprises que l’excès de cette saloperie allait lui bousiller le système digestif pour le moins mais il fallait s’attendre à pire. Octave s’en moquait et en recommandait une autre arguant qu’il ne souffrait ni d’épilepsie, ni de troubles de la thyroïde ou d’insuffisance cardiaque. Donc pas de souci. Point. La discussion était close.

Si son interlocuteur persistait à vouloir lui faire entendre raison, Octave l’incitait au silence d’un index vertical posé sur ses lèvres et désignait le ciel d’un lever de sourcil pour signifier qu’on l’appelait sur une autre ligne. Les gens n’imaginaient pas comme leurs bavardages et leurs vacarmes brouillaient la qualité des liaisons !

Oui c’est toujours la même chose… Ah ah ah… Quoi ? On peut bien rire, non ?!… Vous pensez réellement qu’il faut les alerter ? Vous n’avez aucune idée du bordel ambiant… Ah, mais vous pouvez me faire confiance ! Pour la plupart, les bonhommes comme les bonnefemmes sont dans l’incapacité de comprendre ce qui est en train de se passer… Oui je sais que vous êtes au courant… Vous avez peut-être, je dis bien peut-être, une chance avec la jeunesse, et encore pas toute… Oui je me doute que vous le savez aussi… Quoi ? Vous voulez que j’aille annoncer la nouvelle comme Jonas à Ninive ?!
Oh la blague éventée ! Pas question d’annoncer la destruction ! Ils s’en sortent très bien tout seuls ! Ah ça pour bousiller le monde, ils sont balèzes les bougres et les bougresses ! Ah ah ah, ah, oui comme vous dites… Vous me faites rire.

Le patron arriva sur ces entrefaites :

— Octave, va falloir que tu bouges, tu gênes la clientèle, tes soliloques leur foutent un peu les jetons.

Oui, toutes mes excuses, mais là je dois me débrancher deux secondes, j’ai un petit souci avec une incarnation en face de moi. Oui, humaine.

— Tu dis ?

— Que tu finis ta canette et que tu vas faire un tour, je te l’ai déjà expliqué, quand ya personne en terrasse, tu déranges pas, en plus avec le bruit de la circulation, personne ne se rend compte et nous on est habitué, mais les ceusses qui font ta connaissance pour la première fois et la dernière quand c’est des touristes, tu les effraies et c’est pas bon pour le commerce.

— Tu nous déranges pour cette futilité ?

— Écoute Octave, t’es un chouette mec, on t’aime beaucoup mais vous avez tout le temps de vous parler plus tard dans la journée, ou cette nuit… T’aimes bien aussi converser avec eux la nuit…

Octave lève soudainement la tête vers le ciel :

Je vous avais prévenus, ils n’en ont cure, lui comme les autres. Faut aller visiter du côté de la jeunesse… Oh bah non, à mon âge, je n’ai plus trop de contact avec les jeunes activistes… Quoi ? Oui bien sûr, mais pas sûr qu’on laisse un « vieux » de 63 ans prophétiser tranquillement en votre nom… Oui c’est un peu passé de mode… ah, ah, ah, ce que vous pouvez être drôle !

— Octave, tu m’as entendu ?

Alors de nouveau je vous présente toutes mes excuses parce que l’incarnation, oui toujours humaine, insiste… Oui, à tout de suite… Je vous aime aussi.

— Que veux-tu encore ? T’arrête pas de nous interrompre ! C’est important là les messages, ça vient de partout. T’as du pot que ces êtres ont une patience d’ange, ah ah ah, c’est le cas de le dire.

— Arrête tes conneries ! Redescends parmi nous un moment et ouvre grandes tes esgourdes. Tu prends tes cliques et tes claques, tu vas faire un tour avec ta ribambelle d’invisibles et tu reviens dans l’après-midi, si tu veux, mais après le coup de feu, t’as compris ?

— Dis-moi l’mastroquet, va falloir que tu baisses d’un ton là, t’es au courant que je capte les messages des êtres supérieurs qui tentent de sauver le monde ? Et franchement, je les trouve bien courageux parce que quand on te voit, on se dit que l’humanité devrait être jetée au rebut.

— Tu vas trop lo’…

— Chut, tais-toi, je reçois un message…

Hum… Hum… Hum… Et vous voulez que je lui annonce tout de go, sans précaution, sans rien ?… Sûr qu’il le prendra bien ?… Si vous le dites… Oui je vais essayer d’y mettre les formes mais je vous promets rien… Oh la la, je rigole, c’est pas interdit non plus…

— Bon le bistrotier, j’ai une très bonne nouvelle pour toi, ok, je vais aller faire un tour parce que je peux pas t’empêcher de réaliser du chiffre d’affaires et l’autre truc que je dois te dire c’est que tu verras la fin de ce monde et la naissance du nouveau, ils auront besoin de limonadier dans le premier sens du terme, des limonades artisanales et sans sucre, et tu seras libéré de tout chiffre d’affaires, tu vas voir ça va te changer la vie, allez à plus tard.

Ah bah oui, je vous suis, moi… oui ça y est, je lui ai dit… Oh qu’il me croit ou qu’il ne me croit pas n’a aucune importance. Quand il sera devant le fait accompli, il pigera le mec, ah ah ah… Bah oui, je rigole, on peut bien rire n’est-ce-pas ?!

https://www.youtube.com/watch?v=FI1b9RK10JI Elis Regina – Águas de Março

30 commentaires sur « 84. Paroles d’ange »

  1. Ainsi donc l’overdose de ces poisons chimiques tant appréciés des jeunes, et de Octave ! l’aurait rendue chaman ? Vite un Red Bu-uuuulle !!!!! Moi aussi je veux voir l’invisible !
    Trêve de plaisanterie : si le texte lui est très amusant et bien écrit (comme toujours), j’ai, dans le civil, beaucoup de compassion pour les schizophrènes. Leur réalité face à la nôtre doit être un enfer.
    Bonne soirée Louise !

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  2. Un récit si réaliste que je me suis laissé prendre par l’ambiance. Cette narration est un vrai reportage!
    Je n’ai qu’une fois trempé mes lèvres dans ce genre de boisson à la taurine, sans plus que ‘beurk’!
    Mais je suis content que des consommateurs, au mépris de leur santé, financent les activités de Dietrich Mateschitz, le milliardaire de Red Bull Racing et son excellent pilote Max Verstapen. Il faut dire que j’ai passé 10 ans de ma vie dans le sport automobile… ceci expliquant cela.
    Merci Louise pour vos écrits.

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  3. Bistrot tôt ou bistrot tard… Les « élus » supra-terrestres surveillent les terrasses, la police d’en-bas a fort à faire avec les zombies – surtout les partisans de « Z » – prêts au « grand remplacement ».

    La convivialité est sans doute un intervalle de temps qui… tend à se rétrécir : le comptoir des heures vogue peut-être vers le malheur. 🙂

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  4. Oui, Louise rire il faut tant qu’on peut. A l’usure il s’avère que le rire disparaisse devant l’absurdité entêtée. La taurine est tellement convaincue d’avoir toujours raison et méchante avec ça quand on refuse sa possessivité jalouse qu’en rire se fait impossible…
    Bonne journée Louise.
    Alain

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  5. Merci pour votre lecture, bien sûr n’y voyez aucune moquerie d’aucune sorte pour le personnage d’Octave, qui s’en sort bien. Je vous rejoins tout à fait dans la seconde partie de votre commentaire, oui ce doit être un enfer.
    Très bonne journée

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  6. Merci à vous pour votre lecture et de nous apprendre des choses 1 / sur le milliardaire et 2 / sur le pilote de Max Verstapen que je ne connaissais pas avant de vous lire. Les dessous d’une nouvelle sont toujours incroyables je trouve. J’espère que tout se passe au mieux chez vous. Très bonne journée

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  7. Je voulais apporter une précision importante après une discussion passionnante avec une compatriote de l’excellent pilote Super Max, son nom s’écrit avec 2 P donc Max Verstappen, j’ai promis que je corrigerai, c’est chose faite, 🙂

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  8. La caféine (à la chicorée) je limitais à 2 tasses par jour en son temps, je n’ai jamais testé le mélange avec de la taurine, mais ma limonade sans le sucre c’est impossible, elle ne pétillerait pas et ce ne serait pas du kéfir…
    Les bulles du champagne sont aussi le résultat de la fermentation du sucre des raisins 😉

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