85. Romantique

Ne pleurez pas, je vous en prie, ne pleurez pas ; depuis que je suis tout petit, cela me fend le cœur de voir des larmes couler… Oui, je sais ce que vous allez me dire, on me le souligne à chaque fois : alors pourquoi avoir choisi ce métier et surtout cette spécialité : avocat pénaliste ? Je pense que ces considérations n’entrent pas dans le cadre de notre rendez-vous. Non, je vous en prie, ne pleurez pas, n’essayez pas de m’expliquer quoi que ce soit, je vous comprends tout à fait. De plus, j’ai votre dossier sous les yeux dont j’ai bien pris connaissance. Tenez prenez un mouchoir, oui la boîte, cela ne me dérange pas. Je pense que nous n’allons pas attendre que vous cessiez de pleurer, et poursuivons notre entretien. J’ai parfaitement conscience que mes propos vous ont fracassé votre rêve, mais c’est une réalité madame. Vos biens ont été saisis, vos comptes bloqués. Cependant, malgré les apparences, tout n’est pas désespéré vous concernant. Mais vous devez l’entendre : il vous faut impérativement quitter le pays. Nous pouvons vous obtenir le statut de témoin protégé, oui nous avons déjà abordé ce sujet. Nous pouvons demander que vous viviez sous une autre identité, tout ce qu’il y aura de plus légal bien sûr. Vos origines vous mettent en danger et vous le savez. Vous ne faites pas partie de leur milieu, vous resterez une étrangère quoi qu’il en soit et une « traître » potentielle bien que vous n’ayez fait aucune allégeance à l’organisation, donc assassinable pour défendre on ne sait quel honneur, mais nous n’en sommes plus là. Madame, je vous en prie, pleurez plus fort ne changera rien à l’affaire, ni aux terribles pour ne pas dire terrifiants ennuis qui vous attendent. Déjà venir à mon cabinet nous expose. Si j’avais connu votre réelle identité, j’aurais probablement refusé de vous recevoir, j’aurais inventé n’importe quel prétexte. Je suis touché que vous vous soyez dit que faire appel à mon expérience vous sortirait de l’impasse dans laquelle vous êtes acculée, mais je vous le répète… Oh, madame, je vous en prie, ne pleurez pas, d’autant que votre maquillage coule, bien sûr ce n’est pas grave, mais essayons de garder une dignité certaine.

Madame, je vais essayer de vous le dire autrement : jusqu’où êtes-vous prête à aller pour changer de vie ?

Oui, il n’y a pas d’autres solutions dans votre cas : il vous faut changer de vie. Vous vivrez beaucoup plus modestement, assurément, mais ce n’est pas la fin du monde.

Madame, je vous en prie, séchez vos larmes.

Je comprends que vous l’ayez follement aimé, que vous l’aimez toujours, lui aussi d’ailleurs, très probablement.

Mais pour votre sécurité, il est préférable de vous dissocier de lui et de raconter tout ce que vous savez de ses activités ; même si vous n’en savez rien, vous avez pu surprendre des conversations, croiser des visages que vous pourriez reconnaître.

Madame, sans l’avoir vécu, je saisis qu’apprendre après autant d’années de mariage que votre conjoint est un mafieux, et surtout de l’avoir appris de la bouche même du juge d’instruction, est un choc pour vous, je vous en prie ne pleurez pas, mais oui madame il est une véritable saloperie ; si pour vous il a tout donné, dites-vous que pour le reste du monde il n’est absolument pas un homme à fréquenter, et nous ne parlons pas d’un petit voyou, comprenez-vous madame ?!

Oui, vous n’êtes au courant de rien, je sais, c’est ce qui vous sauve, mais il y a toujours des détails aussi infimes soient-ils qui permettront à la justice de remonter des filières. Madame, vous n’êtes pour l’instant accusée de rien, vous êtes convoquée pour être entendue à titre de témoin.

Vos paroles vont, nous l’espérons, permettre de briser cette loi du silence et de démanteler un réseau d’une puissance criminelle hors normes. Vos paroles vont permettre surtout de vous protéger !!!

En échange, madame, oui, en échange, nous demanderons que vous soit accordée une dernière danse avec lui puisque tel est votre vœu le plus cher.

Oui, madame, je peux comprendre cette étrange requête.  

Oui, séchez vos larmes s’il vous plaît. Merci. Le chagrin passera, madame. Comment je le sais ? Comment je peux vous l’assurer ? Je n’en ai aucune idée.

Vous changerez d’identité, de vie, d’histoire : qui vous dit que vous ne trouverez pas un véritable amour alors ?

Oui, vous avez le droit à une seconde chance et je vous la souhaite.

© Louise Salmone

https://www.youtube.com/watch?v=NGorjBVag0I Leonard Cohen – Dance me to the end of love

26 commentaires sur « 85. Romantique »

  1. Qui n’a pas, au moins une fois dans sa vie, désiré disparaître pour changer de vie? Même sans avoir de conjoint mafieux peu fréquentable.
    Texte à lire et relire… avec vous Louise, c’est souvent une obligation pour s’immerger dans vos histoires. C’est d’autant plus génial.
    Amicalement.

    Aimé par 2 personnes

  2. On ne comprend qu’à la fin pourquoi elle pleure. Cette dernière danse arrive comme un rayon de soleil dans cette histoire scabreuse (bravo pour l’avocat qui s’embourbe dans son discours 😉 ), le tout accompagné par un L. Cohen toujours bouleversant, bravo !

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  3. J’imagine un autre exemple.

    Une dame croit que son mai est employé municipal.

    Au bout de trente ans, un enquêteur lui apprend que c’est faux, et que ce monsieur est directeur de recherche au CNRS.

    Je vous dis pas, le drame…

    Aimé par 1 personne

  4. (avec retouche)

    J’imagine un autre exemple.

    Une dame croit que son mari est employé municipal.

    Au bout de trente ans, un enquêteur lui apprend que c’est faux, et que ce monsieur est directeur de recherche au CNRS.

    Je vous dis pas, le drame…

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  5. Sacré Dupond-Moretti ! On se demande si, lui aussi, il ne va pas chercher une autre identité car ces histoires qui courent le Palais, ces juges d’instruction qui mettent leur nez partout, ce n’est plus possible…! On aimerait connaître le résultat de l’examen !

    Rachida Dati avait bien su changer de fonction, elle… Dupond se transformerait lui-même en Dupont (avec un T) et il irait se balader au royaume des Incas (de malheur), pour être enfin tranquille…

    Quant à Leonard Cohen, il restera tel qu’il fut : intransigeant, mélancolique et chantant juste. 🙂

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  6. Merci pour votre lecture, et il y aurait tant à dire sur la vie qui est si dure, mais pas toujours, dommage que nous y prêtions si peu attention par moments… forcément ya des conséquences, :-), très bon week-end

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