92. She’s a Lady ! / C’est une Dame !

S’avouer vaincue reviendrait à ternir sa réputation, et cela elle ne pouvait pas se le permettre. Trop d’argent en jeu ! Sa licence professionnelle également !

Un comble qu’une escroc lui échappe systématiquement ! À croire qu’elle a été prévenue ou qu’elle disposerait d’un sixième sens. Invraisemblable. L’inlassable ritournelle : Félicie l’aurait loupée de peu aux dires de la direction, des employés qu’elle interroge selon une procédure comme à son habitude rigoureuse pour tenter d’obtenir le maximum d’informations.

D’autres palaces ou lieux d’exception ont été victimes de la Lady. Ainsi est-elle surnommée : Lady. Rien d’autre : ni prénom, ni nom, si ce n’est des patronymes inventés, jamais vérifiés ou trop tard pour une raison inexplicable. Lady apparaissait et disparaissait comme par enchantement. En trente ans de carrière, Félicie n’avait jamais vu, ni même soupçonné, un tel phénomène. Elle en avait confondu et attrapé pourtant des filous, en tous genres, mais une de son envergure… à vous, nous pouvons le dire… Jamais ! De savoir qu’une fois de plus sa « proie » était passée entre les mailles du filet la perturbe, la décontenance, émiette son aplomb et son implacable logique déductive.

Le mode opératoire paraît rôdé bien qu’imprévisible et changeant : Lady se présente dans un endroit très haut de gamme, pour y séjourner quelques jours, jamais plus d’une semaine (ce qui est énorme vu les prix pratiqués), n’éveille aucune méfiance, bien au contraire tant les personnes qui ont été à son contact s’empressent de vanter sa gentillesse, sa douceur, son écoute ( ?! elle prendrait un temps précieux à tendre une oreille au personnel confronté à la vie faussement ouatée des palaces pour les délester du poids de témoignages sur les dérives chaque jour observées), ses généreux pourboires. Ce dernier point revient comme une constante.

De quoi peut vivre Lady pour claquer autant de billets en si peu de temps ?!

Les victimes s’accordent à penser que Lady est une richissime retraitée qui n’étale pas sa fortune, ne porte pas de bijoux ni de tenues hors de prix.

Mais alors pourquoi partir sans payer au risque de se faire arrêter ?! De plus, si l’on additionne les sommes dépensées (en pourboires principalement faut-il le rappeler ?!), le total ne dépasse jamais le montant d’une retraite modeste.

Lady n’ignore pas non plus que les établissements fréquentés ne porteront pas plainte de peur que cette mauvaise publicité nuise à leur image, d’où la présence discrète de Félicie dont l’enquête avance à bave d’escargot. La détective privée recolle avec difficulté les morceaux du puzzle : elle sait qu’elle a affaire à une femme d’environ 65 ans, d’une discrétion « émouvante » (selon les propos du dernier directeur dupé), d’une simplicité « désarmante » (expression retrouvée dans la majorité des déclarations), sans exigence ni caprice, souvent sans bagages, mais qui s’en soucie puisque chaque fois elle prétend que sa malle va arriver. Chose encore plus étrange, personne n’est capable de la décrire ; Lady évoque quelqu’un de la famille, fait partie de la famille, un visage amical, connu, un sourire réconfortant, une reconnaissance de leur travail peu commune dans ce genre de milieu. Une femme qui impose une loyauté : pas banal !

Félicie ne peut pas, là encore, faire chou blanc… La mission va lui être retirée, les répercussions sur l’agence vont se chiffrer salement. L’enquête est au point mort depuis des mois, et Lady sévit sans être inquiétée.

Dans le hall du palace, un couple de sexagénaires l’accoste. La femme élégante fait signe à son compagnon de poursuivre son chemin et, sur un ton complice, demande à Félicie :

— Alors ? Vous avez quelques éléments sur cette inattrapable Lady ?

Félicie reste interdite.

— Le directeur m’a mise dans la confidence, nous nous connaissons depuis notre tendre jeunesse.

— C’est à n’y rien comprendre. Lady n’a pas de visage, pas de corps et pourtant tout le monde en parle comme d’une personne à connaître absolument. C’est même à se demander si on a envie que je la démasque.

— Allez savoir ! Lady produit un bénéfique effet aux plus endurcis. Un vrai talent !

Un klaxon retentit. La femme prévient qu’elle est attendue et promet à Félicie d’une voix rassurante, en lui tapotant l’avant-bras, qu’elle trouvera Lady un jour ou l’autre  :

— Ne perdez pas courage. Beaucoup comptent sur vous.

La détective, honorée, la remercie et suit du regard cette femme élégante sortir du palace, prendre place dans le taxi dont le concierge tient la portière avant de prendre le joli pourboire que la femme lui tend. Félicie au dernier moment aperçoit le clin d’œil que Lady lui adresse.

Elle aurait été incapable de la décrire, mais comprend maintenant ce qu’ils ressentent tous : oui, cette femme est une Dame.

© Louise Salmone

https://www.youtube.com/watch?v=GDY4V_SMHd8 Tom Jones – She’s a Lady

40 commentaires sur « 92. She’s a Lady ! / C’est une Dame ! »

  1. Sans doute cette Lady était-elle d’une autre… trempe : vivre à la cloche de bois, c’est mieux qu’à la cloche !

    Si n’attrape pas le Covid 19, elle pourra perpétuer ses exploits, musicaux et hôteliers, avant qu’ils ne soient peut-être hospitaliers : car je doute qu’elle se fasse vacciner…

    Bonne année à vous… sans virus attrapé dans la porte-tambour d’un « palace » visité incognito ! 🙂

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  2. Merci Lousie.
    Je viens de voir une erreur dans mon texte, désolé je dois utilise le traducteur pour éviter de faire erreus, car je comprends peu le francais et je ne sais pas ce qui s’est passé.
    Le meilleur poru la nouvelle année.
    Merci.
    Elvira

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  3. Quand on a tout dans la vie, il ne reste plus qu’à prendre des risques pour la pimenter un peu. Et si cette Lady était une de ces sympathiques aventurières de palaces ? Je la vois telle que. Bonne fin d’année Louise !

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  4. Comme votre enquêtrice s’est complètement disqualifiée par son manque de professionnalisme, j’ai fini par reprendre l’enquête à mon compte. En réexaminant les nombreux indices disséminés sur le parcours criminel de notre sexagénaire et j’ai fini par aboutir à une conclusion quasi irréfutable : notre voleuse de séjours de luxe est une ancienne employée de l’hôtellerie grand standing. J’en ai acquis la certitude. Et je dirais même plus… Vous racontez cette histoire avec un tel naturel, une telle facilité, une si grande connaissance des faits et un tel luxe de détails qu’une conclusion s’est imposée à moi. Cette criminelle de génie, Louise, c’est vous. Avouez-le enfin. Soulagez votre conscience.
    Je comprends votre démarche. Vous avez ainsi voulu venger l’ensemble du personnel hôtelier pour toutes les vexations subies au quotidien par cette riche clientèle suffisante et arrogante, ainsi que par tous les chefs sans nombre qu’on croise dans ces métiers. Petites vexations qui accumulées au fil d’une carrière font les grandes humiliations de la vie qui achèvent de courber le cou, la nuque et la tête des gens de maison, une fois à la retraite.
    Sachez, Louise, que je vous approuve, car moi aussi j’ai travaillé en hôtellerie. Je comprends et je vous soutiens de tout mon cœur dans votre lutte. En quelque sorte, je suis votre complice. Ce que vous avez accompli, j’ai rêvé cent fois de le faire, mais je n’en ai jamais eu le cran. Vous êtes mon héroïne. Merci.

    Bonnes fêtes de fin d’année

    Il va s’en dire que pour le réveillon, vous saurez choisir quelque prestigieux restaurant parisien à qui vous abandonnerez une ardoise si mémorable que le maître d’hôtel sera licencié sur le champ sitôt que la direction de l’établissement aura pris connaissance du mauvais tour que vous leur avez joué. Ce qui sous-entend de votre part une belle organisation : faux papiers, fausses cartes de crédit, de probables déguisements, des planques. Du travail de professionnel, du bel ouvrage.

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  5. J’ai adoré ce texte. Quelques réflexions:
    La chute est superbe… « Hitchcock reviens »!
    Pour moi cette Lady mérite mieux que d’autres partageant cette distinction, le terme Lady!
    Que pensez-vous de Arsène Lupin au féminin?

    Et, pour conclure: Partir sans payer (surtout de palaces) n’est pas une escroquerie… juste une performance intellectuelle et sportive (Je ne dirais pas la même chose d’un départ sans payer d’une modeste auberge.

    Au revoir Louise et à l’an prochain!
    Grosses bises amicales.

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  6. Oh merci pour cette bonne rigolade, votre contre-enquête est magnifique, fausse mais magnifique ! En revanche, je soutiens Lady et là votre enquête mérite toute notre attention car je pense que vous avez vu particulièrement juste !
    Votre réponse à elle seule est une nouvelle (bonne) ! Bravo ! A 2022 ! 🙂

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  7. Merci beaucoup, tous mes voeux pour vous également pour 2022 qui arrive, et merci pour vos photos, vos textes, d’un monde coloré, de l’autre côté de là où j’habite, ça ouvre les horizons, génial !!! 🙂

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  8. Muchas gracias por tu gentileza, te he contestado en español, te agradezco el gesto de escribirme en mi idioma, mi francés necesita mucha práctica y un diccionario. Valoro tus palabras, que amable, me dará mucho gusto. Yo también espero leer tus textos del 2022.
    ¡Felicidades!
    Elvira

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  9. J’avais aussi sournoisement pensé que Louise faisait de l’autobiographie, pour les mêmes raisons que vous: elle est trop documentée pour qu’il ne s’agisse que de fiction! Mais chut… ne le lui dites pas. Nous risquerions de la vexer et elle nous punirait en cessant de nous divertir avec ses textes!

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  10. Bonsoir Akimismo

    Je suis ravi que vous me confortiez dans mes soupçons concernant qui vous savez. Que dis-je mes soupçons, ce sont des certitudes. Mais que pouvons-nous y faire ? L’addiction au luxe est l’une des plus difficiles à vaincre. Voyez les riches, ils s’y accrochent comme si leur vie en dépendait. Je les plains… Tâchons de ne pas y sombrer à notre tour, surtout si nous avons la malchance de gagner au loto, ces jours.

    Je vous souhaite une bonne année. 😃

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  11. Quel beau naïf je fais. J’aurais dû m’en douter. Vous êtes allée jusqu’à monter votre propre réseau d’informateurs pour mieux agir en toute impunité. Eh bien, c’est « honteux et confus, que je jure, même si un peu tard, qu’on ne m’y prendra plus. »

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