Une fois sous le chapiteau étoilé, Honorée en retard avance à pas de loup, pour ne pas perturber le tzigane qui perle ses poésies sous les arabesques acrobatiques de sa femme, drôle de cirque.
Elle prend place dans la pénombre à la seule libre, aux côtés d’un incognito qui sent bon la soupe de lentilles au lait de coco. Chaussures sportives, pantalon décontracté, mains manucurées, sans cheveux, chemise entrouverte au col, dans les 1,80 mètre, belle allure, il se tourne vers Honorée et, par politesse, lui adresse un sourire à la grâce ensorceleuse mais dont il semble ignorer l’effet. Cela arrive.
La conversation s’engage entre deux numéros de piste et sous les applaudissements. Parmi les rubans, cerceaux, funambules, trapézistes, les danseurs et le taraf, ils s’échangent leurs prénoms, le vouvoiement glisse vers le tutoiement au rythme entraînant de l’orchestre. Honorée – Églantin. Enchantée – ravi. L’ambiance joyeuse les incite à dépasser leurs timidités, l’heure tourne, il faut se quitter, elle lui dit qu’ils pourraient s’échanger leurs numéros de téléphone, oui pourquoi pas, il donne le sien, le public est alors appelé à descendre des gradins pour festoyer avec les artistes et, dans cette bousculade inopinée, ils se perdent de vue. Mince !
Le numéro enregistré d’Églantin la lorgne quelques jours puis quelques semaines mais oh elle n’ose pas, elle hésite, l’auréole d’un soir s’éteint, l’enthousiasme s’essouffle, oui mais il lui plaisait, alors ? Il a éveillé un intérêt, alors ?
Oui. Non. Oui.
Elle se décide un mardi midi. Ne demandez pas pourquoi ; elle-même l’ignore.
Le premier message d’une dizaine de lignes envoyé récapitule la soirée, son contexte, leur rencontre et cette proposition : accepteriez-vous de prendre un café par exemple en ma compagnie ? – s’étaient-ils tutoyés ? Elle ne s’en souvient plus – et finit par un désastreux : à +, qui ne rime à rien.
La réponse arrive… quelques minutes plus tard. Oui il se souvient et répond par un laconique : d’accord.
Suivent une vingtaine de messages pour définir le jour, l’heure, l’endroit – un lieu public – d’exténuants allers et retours où chaque fois Églantin lui laisse libre-choix. Lassée, Honorée le provoque, qu’il montre au moins une (même toute petite) initiative. Il s’y refuse.
Elle garde la main, pourquoi s’obstine-t-elle ? Ne lui demandez pas, elle-même l’ignore.
Le jour dit, elle se rend au rendez-vous guillerette, malgré les trop nombreux messages qui ont tempéré sa spontanéité – Pourquoi n’est-ce pas plus simple ?
Elle le reconnaît aussitôt, oui il lui plaît de toute évidence. Ils passent une heure ensemble, effectivement, autour d’un café, à se raconter des histoires qui auraient pu en amener d’autres, mais il ne manifeste aucune envie de proposer autre chose, il a certainement de bonnes raisons. Qu’il les garde. Elle ne va pas le bousculer à chaque fois, avait juste envie de passer de bons moments avec lui, mais ça a l’air compliqué. Aussi, elle préfère en rester là.
© Louise Salmone
Elle aurait pu attraper le trapèze volant et tomber dans le filet de cette rencontre d’un soir. Mais son indécision l’a fait chuter dans la sciure des regrets : le clown blanc est reparti, le cirque a remballé ses paillettes et ses odeurs de crottin (il y avait encore un cheval que l’on montait par « maltraitance » prolongée), il est vrai que son propre parfum s’appelait « Solitude » de chez Zavatta. 😉
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Mazette, quelle envolée ! Merci pour votre lecture, :-), très bonne soirée
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Oh j’aime les arabesques du changement de ton d’écriture. La note surréaliste rejoint la Muse qui leur demeure chair en dépit du tant qui fout l’camp. C’est Parade, aussi, un brin de cirque dans l’aromate pour que le bon goût revienne.
Ah Louise il me semble qu’entre le oui et le non, le temps mord et se décide pour le cas fait show !
Bravo, je t’embrasse rendu joyeux, merci…
Alain
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Merci pour tous vos mots si joueurs, si plaisants, merci à vous, :-), très bonne journée
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l’inconvénient de l’âge c’est la rapidité de nos intuitions chère Louise, très bien mise en scène dans cet texte… je vous ai déjà dit que j’adorais vos textes ? oui je l’ai déjà dit. Bonne journée !
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Merci beaucoup, pour votre lecture, vos mots, l’intuition de l’âge est aussi un avantage, on gagne du temps… 🙂 Et j’en profite pour vous remercier pour vos textes également, variés, avec matières à réflexion, ah bah si ! 🙂 et vos peintures aussi !
très bonne journée
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