112. La dernière

Le bruit a couru qu’elle jouerait. Il ne faut pas exagérer. L’énergie physique lui manque pour monter sur les planches, même s’il lui reste toute sa vivacité d’esprit.

Mais elle sera bien présente, se montrera, saluera ce monde qui afflue à chacun de ses spectacles, toutes générations confondues, acceptera de bonne grâce toutes les marques de respect.

Elle savourera encore une fois la légende qu’elle s’est créée, elle qui a été de tous les combats sociaux et sociétaux par ses actions sans relâche au cours des soixante dernières années : avec son engagement politique et humaniste, sa gouaille, son allure, son franc-parler, sa liberté d’agir, sa liberté d’interpeller, sa personnalité, son caractère détestable parfois – souvent -, son exemplarité, euh… que dire encore ? Son aura, oui son aura, sa popularité, ses admirateurs nombreux, si nombreux, sa générosité pas uniquement de cœur, elle n’a jamais roulé sur l’or il est vrai mais est-ce le but dans la vie ?, son goût démesuré pour la polémique, tout ce qui fait parler et surtout réfléchir est bon à dire, la Pasionaria du théâtre comme elle a été surnommée s’est emparée de l’Histoire sans ségrégation.

Elle ne jouera plus.

Ça passe si vite une vie, si vite, pas le temps, plus le temps.

D’une exigence épuisante, elle a su propulser quiconque cheminait à ses côtés au-delà de ses capacités.

Cette femme ne doute de rien, suffisamment rare pour le faire remarquer.

Elle dérange, agace, s’insurge, secoue, n’en déplaise.

Elle aurait voulu en faire plus, chercher et développer d’autres voies artistiques en plus de celles qu’elle a ouvertes mais le temps va lui manquer.

Elle ne renie rien de ce qu’elle a dit ou fait, pas même les méchancetés.

Elle a su prendre sa vie en main pour en fabriquer un destin.

Maintenant, elle se retire au grand dam de ses contempteurs qui vont devoir débusquer les graines qu’elle a parsemées dans les interrogations de gens curieux, tolérants, accueillants, elle qui a su démultiplier ses talents en mille et mille et mille et mille et mille… personnes.

L’aventure collective à laquelle elle croit continuera de croître.

Ça passe si vite une vie, si vite, pas le temps, plus le temps.

Pour sa dernière apparition en public, elle ne rechignera pas à se faire photographier avec des inconnues et des inconnus, malgré ses protestations.

Cet après-midi, pour elle, c’est la dernière, et quelle vie pour y arriver !!!

Ça passe si vite une vie, si vite, pas le temps, plus le temps pour elle.

Juste avant de refermer les portes,

juste avant le lever de rideau,

elle profite encore de ce rayon de soleil et de cette image furtive et simple d’amis, de familles, de couples qui pique-niquent à l’ombre de platanes et de chênes, d’enfants qui jouent, de rires et de bribes de conversations qui lui chatouillent les oreilles, de tranquillité, de paix, oui de paix, là au milieu du monde qui marche trop souvent sur la tête, pense-t-elle, cette image furtive et simple qui ressemble à du bonheur qui passe si vite, si vite, comme la vie parfois.

© Louise Salmone

https://www.youtube.com/watch?v=lu5Vn1vQ5i4&ab_channel=GustavoThomas Nô théâtre performance « Tamura » – Dance of the ghost

16 commentaires sur « 112. La dernière »

  1. Elle sait pourtant qu’elle aura droit au Panthéon et à un discours scintillant du tout nouveau président de la République, déjà bien rodé dans cet exercice, alors c’est un futur génial qu’elle entrevoit, dormir (du sommeil de la Juste) auprès de Victor Hugo, Émile Zola ou Jean d’Ormesson – en attendant Michel Houellebecq – et faire de beaux rêves avec un tirage digne d’une cheminée d’ancienne locomotive à vapeur… =======================================================

    Aimé par 3 personnes

  2. Lu trois fois… une habitude que j’ai prise depuis que je vous suis, tant votre prose cache souvent des subtilités non évidentes à la première lecture. Pourtant, cette fois, j’engage mon joker car je n’ai pas saisi de qui vous parlez. Bonne journée!

    Aimé par 3 personnes

  3. Beau texte mais je ne peux m’empêcher de rajouter une réflexion idiote qui me fait rire . Vous dites :

    « Cet après-midi, pour elle, c’est la dernière, et quelle vie pour y arriver !!!

    Ça passe si vite une vie, si vite, pas le temps, plus le temps pour elle.

    Juste avant de refermer les portes,

    juste avant le lever de rideau, »

    Elle a donc profité du lever de rideau pour mettre les voiles. Belle fin ! (pas comme mon humour direz-vous!)

    Aimé par 1 personne

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