126. Gravure de mode

Ses parents l’avaient appelée Madone, en toute simplicité, en hommage à sa beauté, une intuition bien avant de découvrir son regard soyeux, son minois adorable qui confirmaient la pertinence de leur choix.

Madone lui sied à la perfection. Et nul ne trouve à y redire, ni à en rire, quand elle se présente en tendant une main ou une joue avenante.

Sa beauté raphaélesque grise quiconque l’approche. Madone aime ajouter raphaélesque, car – selon elle – Raphaël l’aurait probablement adoptée comme modèle ; comment ne pas succomber à une telle beauté qui ne correspond en rien aux canons actuels ni d’aucune époque d’ailleurs tant ses particularités harmonieuses la rendent atemporelle, intemporelle, auréolée d’un soupçon de mystère un tantinet inaccessible ?

Elle en joue du haut de ses 20 ans, qui lui en tiendrait rigueur ?

Ce jour-là, Madone au look négligé étudié dans le moindre détail – personne ne s’habille « naturellement » ainsi – veut rester allongée sur la pelouse du parc où les rats s’activent la nuit et les jours de pique-nique pendant que sa mère et sa grand-mère s’offrent une séance de shopping fiévreuse. Elle n’a pas envie de fendre la foule, de se sentir flattée, désirée, aspire à une saine tranquillité en cette belle journée d’été.

D’un sourire, d’une moue, d’un rictus, elle sait éconduire les indiscrets, les entreprenants, au masculin comme au féminin, se garde bien des insistants, des harcelants, au féminin comme au masculin, pour s’accorder une parenthèse de paix avant de s’immerger de nouveau dans la lecture de ce livre qui la passionne et la dérange sur « L’ego, notre ennemi intime ». Cet ouvrage ne se lit pas comme un roman malgré de oiseuses facilités de démonstration. Chaque phrase l’inciterait à une introspection parfois acceptée, parfois provoquée. Il lui arrive de relire plusieurs fois un même passage pour absorber la ou les manières – elle ne suit pas toujours le raisonnement de l’auteur – de maîtriser son « plus grand adversaire » comme c’est écrit sur la jaquette : l’ego !

Je, moi… seraient-il de si terribles démons ?

Cela l’amuse de survoler quelques poncifs saupoudrés de stoïcisme et d’axiomes de grands penseurs classiques comme Démosthène qui a – aurait ? – déclaré un jour – ah oui, quand exactement ? – « que la vertu commence par la compréhension et elle est comblée par le courage ». Aucune indication sur le contexte de la fameuse phrase dudit Athénien surnommé l’Orateur, en toute modestie, un temps élève de Platon – ça pose son bonhomme !

M’ouais, moi aussi je peux collectionner des phrases qui font semblant de dire quelque chose signées par des noms illustres que personne ira vérifier…

Et vas-y Aristote, ah lui c’est à toutes les sauces qu’on le sert… Richard Feynman, ah un physicien sur l’électrodynamique quantique, personne n’y comprend rien, mais c’est très tendance, faut au moins ça dans un livre traitant de l’ego, je me marre, il est drôle ce bouquin, vraiment, le physicien qui a dit – hors contexte toujours, donc l’auteur a pu l’inventer (mais citez vos sources, bordel !) « Le principe fondamental est de ne pas se tromper soi-même. On est toujours la personne la plus facile à tromper. » Oh le fatras de conneries, j’adore ! … Ah du Freud, bah oui, pas très original, toujours hors contexte…

Ses paupières se baissent lentement, Madone somnole un court instant, puis reprend sa lecture…

Ah Angela Merkel, ah oui il ratisse large, JE lis Le Gars qui a trouvé la recette pour se faire du pognon en nous donnant des conseils, à savoir : méfie-toi de ton ambition elle n’est pas toujours bonne conseillère, c’est drôle mais bientôt ennuyeux, j’en ai bien peur…

Elle jette un coup œil sur la quatrième de couverture pour s’intéresser de plus près à la photo de l’auteur et se demande comment un petit bonhomme un petit peu âgé, il n’a pas dépassé la quarantaine, pas très joli, pas très attirant, pas du tout, peut-il vendre autant d’exemplaires sur un sujet aussi bateau ? Oh sa formation de marketeur (devenu écrivain) aide à comprendre. Maintenant il se définit comme écrivain-marketeur, pas gêné le mec ! Il doit avoir un ego bien développé à mon avis pour en faire un sujet de bouquin. C’est pas tout le monde qui est attiré par le sujet… Il aurait pu écrire « merci à toutes les dindes et les dindons que j’arnaque en mélangeant des phrases et en faisant croire qu’elles sont issues d’illustres personnages pour alimenter mon fonds de commerce à MOI qui consiste à t’apprendre à laisser tomber ton MOI. M’ouais, le gars c’est surtout le roi de la phrase toute faite. Je le plains le petit bonhomme au gros ego tout moche !

Bon allez assez rigolé, à la sieste maintenant !

© Louise Salmone

https://www.youtube.com/watch?v=-2EoReHa-p8 – Barry Manilow – Copacabana

20 commentaires sur « 126. Gravure de mode »

  1. Tiens… (mais citez vos sources, bordel !). Louise, il me semble vous avoir lu affirmant que vous ne citez jamais vos sources. Auriez-vous de la concurrence? Et quand ce sont les autres qui ne citent par leurs sources… ça vous énerve?
    J’avoue avoir tout de même eu un peu de peine à assimiler tout votre texte. Une fois n’est pas coutume non?
    Mais la conclusion avec la ‘siesta’ me réconcilie avec cet écrit!
    Surtout: Merci de nous faire réfléchir et pour ce faire vous être excellente.
    Amicalement à vous!

    Aimé par 1 personne

  2. J’aime bien le contraste de style entre le début du texte et le milieu, entre la description d’un personnage au physique issu de l’histoire de l’art et son look négligé volontaire. J’aime sa capacité à être elle-même, à envoyer des boules dans les quilles du livre marketing, sa réflexion sur l’égo. Elle semble avoir un souci avec ça, comme nous toutses… Bon, ne pas trop se prendre la tête façon quantique, vivre des expériences, être soi-même, la vie fera le reste et vive la sieste 😉
    Bonne journée!

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  3. Un juste regard sur tous ces livres qui voudraient nous apprendre plein de choses mais qui, au final, nous donnent envie de les fermer pour revenir à l’essentiel: une bonne sieste!
    Pas si compliquée la vie finalement!
    Merci Louise pour ce joyeux récit

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  4. Il m’arrive aussi de fermer les yeux et de m’endormir devant un livre « qui fait bien » mais qui m’ennuie profondément, je l’avoue, sans honte aucune 😉
    Mais comme je fréquente assidument une bibliothèque publique je me sens rarement « obligée » moralement de justifier le prix du livre par sa lecture. Quelle chance!

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  5. Merci pour votre lecture, selon les droits imprescriptibles du lecteur de Pennac (comme un roman) :
    Le droit de ne pas lire.
    Le droit de sauter des pages.
    Le droit de ne pas finir un livre.
    Le droit de relire.
    Le droit de lire n’importe quoi.
    Le droit au bovarysme (maladie textuellement transmissible).
    Le droit de lire n’importe où.
    Le droit de grappiller.
    Le droit de lire à haute voix.
    Le droit de nous taire.
    Bonne soirée à vous 🙂

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