130. La déposition

Maintenant qu’Armand avait demandé à le voir au préalable, il se sentait un peu ballot. Face à lui se tenait un gamin avachi, mal dégrossi, à l’allure gauche, qui évitait son regard et triturait un petit bout de papier jusqu’à en faire une boulette dont il ne savait comment se débarrasser.

Par quoi Armand allait-il ou devait-il commencer pour engager un dialogue avec ce jeune délinquant déjà adulte qui portait encore les stigmates de l’adolescence ?!

De cet entretien, s’ils arrivaient à échanger, l’avenir du gamin pourrait en pâtir ou se bonifier. Armand s’en persuadait.

Peut-être débuter avec cette question obsédante depuis qu’il savait qu’avaient été retrouvés ensemble Et le Voleur Et le manuscrit incunable de La Ballade des pendus de François Villon : pourquoi avoir conservé le produit de son vol qu’il ne pouvait de toutes les manières pas écouler n’ayant ni l’entregent nécessaire ni le réseau sans éveiller les soupçons bien qu’il le tentât ? Ainsi fut-il aisé de remonter jusqu’à lui. Pourquoi avoir pris ce risque inconsidéré de se faire prendre ? Pourquoi avait-il accepté de rencontrer Armand ?

Un temps, Armand s’était imaginé que le petit voyou avait eu une révélation avec le texte de Villon qu’il découvrait peut-être, certainement, pour la première fois ; qu’il avait agi selon ses codes pour ramener le manuscrit à son « propriétaire », qu’il en paierait le prix juridique, pourrait compter sur une certaine indulgence d’Armand qui devant l’amour d’un texte ne se laisserait pas aller à une inclémence et refuserait de porter plainte.

La réalité lui offrait le spectacle lamentable d’un être épuisé qui avait été traqué et avait trimballé et manipulé un manuscrit du Moyen Âge sans les précautions nécessaires, en espérant que les dégâts ne s’avèreraient pas irrécupérables.

Armand s’éclaircit la voix pour obliger le jeune homme à relever la tête. Ce dernier ne réagit pas. Aussi Armand employa les grands moyens :

— Monsieur, vous me devez une explication. Vous avez subtilisé une chose unique, sans prix, un joyau de poésie. Pourquoi ?

Le gamin grandi trop vite le regarda alors, bouche bée, avant d’éclater de rire en répétant dans une articulation exagérée « Monsieur ».

Armand passablement agacé lui fit signe de cesser ses singeries en lui soulignant que oui, il était un monsieur bien que cela semblât le choquer, mais c’est ainsi, et insista pour avoir une réponse ou tout du moins un semblant de réponse à son pourquoi.

Le voleur lui avoua dans une langue que Villon n’aurait pas reniée avoir été attiré par le titre mais quand il voulut en savoir plus, les mots se dérobèrent à sa compréhension, il lui fallait quelqu’un pour les déchiffrer, revenir sur les lieux du crime car il voudrait bien savoir de quoi ça parle cette Ballade des pendus.

Armand approcha sa chaise au plus près du brigand et se pencha vers son oreille pour lui y déverser la Ballade des frères humains en mots modernes non sans lui préciser en d’autres mots choyés qu’il se devra de faire réparation aux torts causés au manuscrit en apprenant à le respecter.

© Louise Salmone

https://www.youtube.com/watch?v=jDEDNCOL1gM La Ballade des pendus – Little Nemo – François Villon

11 commentaires sur « 130. La déposition »

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :