138. Sorcières

Lever de lune pleine,

rose, énorme, dans un ciel bleu outremer, pas un nuage à l’horizon,

phénomène rare,

lumière quasi surnaturelle qui irradie l’amphithéâtre archi-comble composée à 80 % de femmes ;

elles s’agitent, s’impatientent, s’apostrophent, s’interpellent, s’échangent des bons mots, des bonnes adresses puis se taisent soudainement.

La porte double battant principale s’ouvre sur cinq femmes venues de cinq continents, spécialistes chacune dans son domaine de la sorcellerie, des sorcières et des sorciers – bien qu’à propos de ceux-ci on aborde beaucoup moins l’illégitimité, précisent-elles en préambule tout en soulignant qu’il ne faut pas oublier que si les femmes furent à 80 % désignées comme des sorcières puis torturées et brûlées, les 20 % restants sont des hommes tout aussi peu concernés par la sorcellerie que leurs consœurs de malheur.

Anthropologue, ethnologue, historienne, spécialiste du droit et politologue tiennent en haleine cette assemblée attentive, qui prend des notes, et développent comment de Babylonie, du code de Hammurabi au XVIIIe siècle avant notre ère qui régissait conflits, crimes… l’Occident en arriva à rédiger au Moyen Âge l’invraisemblable et terrifiant Malleus Maleficarum, ou « Marteau (contre) des sorcières », guide sans spiritualité daté du XVe siècle de notre ère pour trouver et punir les personnes considérées comme impies.

Des femmes principalement mais pas que, insistent-elles.

La première question que tout le monde ici présent devrait se poser est : qu’est-ce que la sorcellerie ?

Les cinq femmes répondent, exemples à l’appui, que des gens – voisins, proches – faisaient appel à des femmes et à des hommes qui avaient une grande connaissance des fleurs, plantes et herbes médicinales pour guérir les maladies, pour aider des femmes à accoucher ou à avorter.

La peste noire et les guerres de religion firent le reste. Pour répandre autant de ravages, de morts, de misères, seules des forces malveillantes et contre nature, comme celles des sorcières, des loups-garous aussi, qui n’existent pas, préfèrent-elles rappeler, y parvenaient.

Dès lors, des femmes en règle générale veuves, célibataires, vieilles, jeunes, belles, laides, indépendantes, mendiantes, rebouteuses, sachant lire, écrire, illettrées, analphabètes, se voyaient accusées d’être à l’origine de la maladie, de la mort, des tempêtes, des tremblements de terre, des sécheresses, des inondations, et tout à l’avenant.

Les femmes sont responsables de tous les maux. On connaît la chanson.

Leurs propos soulèvent un tollé de colère avant que le calme revienne.

1484 marque le début de la chasse aux sorcières en Europe. Une première vague de terreur avant celle de 1492.

N’importe qui sous n’importe quel prétexte pouvait se retrouver entre les pinces des inquisiteurs. L’argument suprême et incontournable demeurait « toute la sorcellerie vient du désir charnel qui, chez elles, est insatiable. Pour se satisfaire, elles n’hésitent pas à épouser des démons… » selon l’ouvrage de Malleus Maleficarum.

La torture permettait d’obtenir des aveux et de périr au bûcher.

Rien de bien réjouissant !

Les cinq femmes marquent un temps avant de conclure sur un ton abrupt que les sorcières, et des femmes sont encore de nos jours pourchassées pour sorcellerie, ne disposaient pas de pouvoir surnaturel, juste de connaissances de la nature, et qu’il faut cesser de divulguer cette fausse croyance que les inquisiteurs ont érigé en certitude qu’elles camouflaient un savoir secret qui se réveille à la pleine lune, qui plus est rose, ou peu importe, et que nous en sommes les héritières, ce sont des conneries marécageuses, moyenâgeuses qui discréditent l’intelligence d’une grande partie de l’humanité.

© Louise Salmone

https://www.youtube.com/watch?v=ivhNmjR6GzM Le bouillon des sorcières (bous bouillon)

21 commentaires sur « 138. Sorcières »

  1. C’est à la toute fin du moyen âge et apogée pendant la Renaissance (de qui ?) que la chasse aux sorcières a eu lieu. 

    Le moyen âge a été une période faste pour les femmes, médecins, chef de famille, décideuses. C’est après que ça s’est gâté,  du moins pour notre occident. 

    O*

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  2. « sortiarius » : diseur de sorts.
    A mon humble avis, il y a des sorciers peu recommandables, fagotés de charlatanisme. Bon, ici, dans la campagne reculée et archaïque, il y a des phénomènes paranormaux avérés et des sorciers et sorcières. Pas très rassurant !!! Je ris un peu. La chasse aux sorcières, encore une expression usitée dans les milieux intégristes de certaines idéologies. Aujourd’hui, il y a d’autres chats à fouetter et d’autres chaudrons à remplir, si je puis dire. Merci Louise pour ce texte qui aimerait m’inspirer quelque sortilège de mon cru…🙂

    Aimé par 1 personne

  3. Ce que les portes referment de la possibilité de clôre. Il était temps de s’en convaincre. En Afrique, seule l’eau possède ce mystère du séjour inaliénable, du courant continuel…. Réveillons nos consciences et nos sorcièr(e)s . Merci. Proposition politique à soumettre.

    Aimé par 1 personne

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