Je l’aurais, je l’avais, imaginé autrement, avec une allure disons plus noble, avec un port de tête plus altier, pas avec ce sac à dos post-adolescent très attardé, pas avec ce béret pour camoufler sa calvitie que le pays dans son entier connaissait.
Sa voix haut perchée qui semble avoir oublié de muer, identifiable entre toutes, toujours parfaite pour le rôle, se distinguait dans un film ou sur une scène de théâtre, mais dans le civil sa fausseté musicale choquait l’oreille ; ses chaussures mal ou peut-être pas cirées, son blazer imperméabilisé à capuche taché et chiffonné, son pantalon effiloché et troué rebutaient.
Je le regardais, il me souriait, certain d’être reconnu, oui c’est vrai je l’avais reconnu, comme la plupart des autres personnes présentes en ce bord de fleuve, là à quelques pas de moi à rire bêtement aux blagues bien grasses de son acolyte, à s’enfiler bière sur bière dans un endroit où vaut mieux y aller mollo sur la bibine car pas de toilettes accessibles avant un bon kilomètre.
Il joue les sales tronches à l’écran ou sur les planches, il a une sale tronche au naturel. Pour nous distraire, il en faut pour tous les goûts. Condamné aux rôles de tocard dans des circonstances variées, il paraît l’incarner à la perfection hors plateau – déformation professionnelle ? Ou joue-t-il de facilité ? Le voilà qui commande une nouvelle bière et entre deux goulées il ressasse à voix haute, crispante, son amertume parce qu’il interprète de mauvais rôles – selon lui – dans de bonnes pièces et productions, allez encore une bière, alors qu’il voudrait un vrai rôle de vilain qui fasse un carton, auquel on pourrait s’identifier, enfin ! Il devient pénible, ses jérémiades agacent.
Il se met à se comparer à de vraies gueules, de celles qui transpirent la personnalité forte, solide, attirante, aimante. Il a juste une sale tronche utile dans la distribution. Le monde et les gens ne sont pas que beaux. Il nous surprend à clamer qu’il voudrait une fois, une fois seulement, jouer un beau gosse, avec un maquillage adapté ce devrait être possible, beugle-t-il, allez encore une bière. Il ne joue même pas les ordures, juste les pauvres types et si bien qu’à chaque audition il est retenu.
La gerbe ! s’apitoie-t-il, allez hop, encore une bière.
Je l’aurais, je l’avais, imaginé plus humble, à la Michel Simon, pas aussi bavard et braillard dégoulinant de ressentiment, sans reconnaissance aucune de la chance qu’il a et quand il a voulu pisser là où il se trouvait, c’est-à-dire devant tout le monde, il a bien fallu intervenir et s’il est tombé à la baille dans la bousculade et s’en est sorti, ouf, il ne peut s’en prendre qu’à lui-même parce que franchement ce sale type ne donne envie ni d’être aidé, ni d’être aimé.
© Louise Salmone
Je ne sais pas comment te remercier. Le texte est superbe. Avec à la fin Jacques Brel ? Puis Bowie et Brel ? Merci !
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Merci beaucoup, très contente que ce texte t’ait plu, et cette reprise de Brel par Bowie est formidable je trouve aussi ;-), très bon week-end à toi et Roméo 🙂
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et vous vous êtes connus comment ? Ah, on voit que tu l’aimes tendrement. C’est comme d’hab’. Parfait!!!!
Tiens, ce matin, j’écris sur un tournage à l’arrêt. Il semble que le réalisateur (outre les blèmes de prod’) se soit pris la tête avec sa compagne qu’il a appelé « morue ».
On en est là, ça promet.
Bon w-e à toi!
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Ah oui ça promet ! Bonne chance à vous et bonne écriture ! et merci beaucoup pour votre lecture, très bon week-end
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Je partage le commentaire de ‘Jaskiers’ au sujet du texte mais me pose aussi la question: pourquoi ajouter le génial Jacques Brel à cette histoire?
Pour le surplus je ne connais pas Bowie.
Bonne fin de semaine Louise!
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Parce Brel parle magnifiquement bien des êtres perdus, merci pour votre lecture et très bon week-end 🙂
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Quel sale type !
Et pourtant, peut-être un acteur génial (et méconnu).
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C’est la complexité de l’affaire 🙂🙃😀, merci pour votre lecture et très bonne soirée
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Ce doit etre un peu frustrant d’etre condamne a un type de role en raison de son physique, qqe chose contre quoi on ne peut rien, mais la biere n’aidera surement pas. Merci Louise 🙂
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Ceci explique cela, très certainement, merci pour votre lecture, bonne journée à vous
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Il est au bord du fleuve, il me semble. Il peut donc descendre bière sur bière, le lieu d’aisance est à porter de braguette… ça achève bien le tableau très élégant du personnage. :))
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Merci pour votre lecture, très bonne journée 😉 🙂
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Un texte qui donne envie de donner des claques à cet acteur 🙂
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J’ai ri ! merci beaucoup pour votre lecture, bonne soirée 🙂
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Peut-être vous êtes vous rencontrés dans le port d’Amsterdam, on ne le saura jamais. Mais qui est donc et être perdu qui noie son chagrin dans la bière et en sort avec un surplus de dégaine?
Merci pour les références au plat pays qui est le mien (avec une petite préférence pour la version originale de Brel 😉, on ne se refait pas).
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Merci pour votre lecture et vos mots, et Jacques Brel bien sûr il n’y a rien à redire tant c’est sublime, et de toutes les reprises il n’aurait peut-être pas renié celle de Bowie… Très bon week-end 🙂
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Dans le port d’Amsterdam
Y a des marins qui chantent
Les rêves qui les hantent
Au large d’Amsterdam
Dans le port d’Amsterdam
Y a des marins qui dorment
Comme des oriflammes
Le long des berges mornes
Dans le port d’Amsterdam
Y a des marins qui meurent
Pleins de bière et de drames
Aux premières lueurs
Mais dans le port d’Amsterdam
Y a des marins qui naissent
Dans la chaleur épaisse
Des langueurs océanes
Dans le port d’Amsterdam
Y a des marins qui mangent
Sur des nappes trop blanches
Des poissons ruisselants
Ils vous montrent des dents
A croquer la fortune
A décroisser la lune
A bouffer des haubans
Et ça sent la morue
Jusque dans le cœur des frites
Que leurs grosses mains invitent
A revenir en plus
Puis se lèvent en riant
Dans un bruit de tempête
Referment leur braguette
Et sortent en rotant
Dans le port d’Amsterdam
Y a des marins qui dansent
En se frottant la panse
Sur la panse des femmes
Et ils tournent et ils dansent
Comme des soleils crachés
Dans le son déchiré
D’un accordéon rance
Ils se tordent le cou
Pour mieux s’entendre rire
Jusqu’à ce que tout à coup
L’accordéon expire
Alors le geste grave
Alors le regard fier
Ils ramènent leur batave
Jusqu’en pleine lumière
Dans le port d’Amsterdam
Y a des marins qui boivent
Et qui boivent et reboivent
Et qui reboivent encore
Ils boivent à la santé
Des putains d’Amsterdam
De Hambourg ou d’ailleurs
Enfin ils boivent aux dames
Qui leur donnent leur joli corps
Qui leur donnent leur vertu
Pour une pièce en or
Et quand ils ont bien bu
Se plantent le nez au ciel
Se mouchent dans les étoiles
Et ils pissent comme je pleure
Sur les femmes infidèles
Dans le port d’Amsterdam
Dans le port d’Amsterdam.
Marianne Faithfull – Port of Amsterdam
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Merci pour cette reprise par Marianne Faithfull et l’intégralité des paroles, très bonne soirée
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