Nobel de la rue

L’oratrice monte sur une estrade improvisée et prend la parole :

Je vous remercie de faire de la place aux nouveaux et nouvelles venus, à qui je souhaite la bienvenue.

Applaudissements nourris dans la salle

Voilà, vous êtes à peu près bien installés, c’est à la bonne franquette ici comme vous pouvez le remarquer. Je crois que nous allons pouvoir commencer. Bien. Je vous rappelle le principe fondateur de notre confrérie : à l’instar du Nobel de littérature, toute proportion gardée et modestie à l’appui s’entend,

Rires complices dans l’assemblée

nos émissaires sillonnent à défaut du monde des territoires entiers à la quête d’une innovation linguistique. Un ou plusieurs mots, cela est déjà arrivé certaines années, peuvent introduire une nouvelle manière de dire, d’écrire peut-être : l’on peut rêver, espérer… Nous empruntons des chemins de traverse pour traquer ce qui n’avait jamais été entendu jusqu’alors et encore moins écrit, une découverte qui un jour, allez savoir, évoluera en langage, revivifiera notre si belle langue dans ce qu’elle a de profondément vivant, ce ou ces mots nouveaux narreront à leur façon le monde se déroulant sous nos yeux.

Comme vous le savez, ou comme vous l’apprenez pour les nouveaux et nouvelles affiliés, nous avons noté ces dernières années une tendance à… disons… l’amputation syllabique…

Brouhaha dans la salle

Le mot peut vous paraître disproportionné mais sachez que nous avons affaire à un phénomène amplificateur, cependant son évolution étonne.

Protestations dans la salle

Oui, je pèse mes mots : ÉTONNE en lettres capitales. Aucun et aucune d’entre nous n’est en capacité de pouvoir prédire le ou les mots qui déferleront et envahiront la sphère verbale avant de s’inscrire, s’imposer dans l’écrit, et chers confrères et chères consœurs vous semblez oublier que c’est précisément cette rupture de ton, de son que nous recherchons ! La vie dans la langue, l’apport des autres cultures…

Applaudissements et huées

Mesdames et messieurs les opposants, inutile de vous cabrer, de réclamer une langue pure, cela n’existe pas et n’a jamais existé !

Cris d’orfraie, acclamations joyeuses et encouragements

Et cette année, cette année, reprenez-vous s’il vous plaît, les uns comme les autres… merci… Et cette année le binôme EE a déniché un joyau tombé de la bouche d’une charmante vendeuse de bonbons qui, alors qu’elle s’était lancée dans de précises explications sur sa manière d’attirer le chaland, lâcha ce somptueux « quoi qu’il » suspendu, sans suite, laissant notre binôme EE dans une perplexe imagination. Quoi qu’il quoi ? en soit ? arrive ? et quoi qu’il ou quoiqu’il ? et selon l’option choisie, au goût de l’interlocuteur ou interlocutrice, la phrase prendra des teintes et des sens variés. Cette… disons… amputation raccommodait, oui le mot peut vous choquer mais il convient en l’espèce, se raccommodait à des bouts de phrase qui ne demandent qu’à renaître.

Après le vote serré et les réactions d’hostilité qui se manifestent encore ce jour,

Sifflements outrés, applaudissement, menaces

Et quoi qu’il advienne, d’après nos statuts, cette nouvelle expression est adoptée !

Je vous remercie de votre attention.

© Louise Salmone

https://www.youtube.com/watch?v=YlFqJquKIww Nikos Kipourgos – Lullaby chantée par Savina Yannatou

23 commentaires sur « Nobel de la rue »

    1. C’est entre Faust et Méphistophélès de Gounod ? Mais qui le dit ? Merci pour votre lecture et votre facilité à nous plonger illico dans un autre monde, maestro ! très bonne soirée (et je veux bien la réponse de qui la fit cette fameuse phrase ? merci à vous)

      Aimé par 1 personne

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