151. Bordel

Combien étions-nous ?

Environ une centaine, dont la plupart usèrent de ruses, purent se faufiler par-delà le cordon humain de sécurité impressionnant sans possibilité de pouvoir rebrousser chemin.

Mais nous, une cinquantaine, peut-être plus, étions acculés et bloqués depuis plus d’une heure et demie.

La tension montait, la nervosité aussi, nous n’en menions pas large, certains avaient faim, d’autres soif, il n’était pas possible de rester plus longtemps dans cette situation absurde.

Nous exigions de l’aide, encore de l’aide, plus d’aide, sortez-nous de là !

Personne ne nous répondait, nous ne savions pas ce qui se passait exactement si ce n’est qu’il aurait été préférable de ne pas se trouver à cet endroit.

Face à nous, de l’autre côté d’une autre barrière humaine de sécurité imposante, une bande hurlait, vociférait, menaçait, le poing fermé et levé en signe de totale hostilité à notre encontre.

Si nous avions suivi les instructions précises, nous n’en serions pas là. Il était bien spécifié en toutes lettres : SURTOUT ARRIVER AVEC UNE HEURE D’AVANCE POUR ÉVITER TOUT DÉBORDEMENT

Pour notre tranquillité

Il était bien noté : pour notre tranquillité. J’ai le billet sous les yeux.

Nous l’avions mal lu ou pas lu ou nous déclinions vers un je-m’en-fichisme désolant en ce jour.

Nous savions que ce spectacle posait un problème à certaines personnes qui voulaient mettre en péril toutes les représentations.

Alors pourquoi cette manie de ne pas se présenter à l’heure dite ? D’arriver comme une fleur au dernier moment ? Comme si les comédiens pouvaient attendre ? Comme si la bande de fanatiques, là, face à nous, ne cherchait pas à censurer la culture, le moindre souffle créatif, par tous les moyens, y compris celui de nous blesser ?

Pourquoi ?

Je me posais toujours cette question sans réponse quand je les ai vus tenter de nous charger, j’en ai perdu tous mes moyens, comme nous tous. Une terrible envie de pleurer m’a saisie. Mais je veux juste aller au théâtre !

Une partie des C.R.S. affronta la horde de teigneux, des ordres fusaient de toutes parts, alors qu’une autre se tourna vers nous pour nous entraîner vaille que vaille vers le théâtre, la seule échappatoire possible.

Je n’ai vu que ce sourire, je me suis raccrochée à ces lèvres pulpeuses auxquelles je ne m’attendais pas sous ce casque, était-il jeune ? vieux ? homme ? femme ? je l’ignore, je ne voyais que ce sourire qui me promettait de me sortir de cet enfer qui m’effrayait, et tous ensemble nous avons évolué de concert. Des personnes criaient, nous entendions sans le voir l’affrontement dans notre dos désormais, le deuxième cordon de sécurité surnuméraire s’ouvrit en deux pour nous laisser passer et gagner le hall du théâtre où nous nous précipitâmes.

J’ai eu juste le temps de lui dire merci, et de goûter cette voix me répondre dans la fureur ambiante Bonne pièce.

© Louise Salmone

https://www.youtube.com/watch?v=0qkTRmU3rg4 Nina Hagen / Franz Schubert – Ave Maria

28 commentaires sur « 151. Bordel »

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :