156. TIGes

Le petit groupe, six au plus, ricanait dans l’incapacité de se concentrer au-delà de cinq minutes. Ça faisait court et ils n’avaient toujours pas dépassé les mots de bienvenue. L’éducatrice patientait, soupirait, ce n’était pas la peine de les bousculer mais l’heure tournait.

— Bien, les interrompit-elle, je reprends.

Elle força la voix pour couvrir leurs gloussements un peu nigauds.

— Vous avez tous donné votre consentement pour ce Travail d’Intérêt Général.

— Ma’ nan…

— Mais si ! Et je peux vous assurer qu’un TIG est préférable à une incarcération.

— Ma’ nan !

— Bien, je vois que nous avons affaire à un plus malin que les autres.

Lesdits autres se mirent à se gondoler, à rigoler et à le bousculer avec une sympathie très maladroite.

— Eh bien, nous allons commencer avec toi si tu en es d’accord.

— Ma’ nan.

— Il ne t’arrivera rien de mal, je t’en donne ma parole, il suffit juste que tu fasses le premier pas.

Le jeune baissa une tête boudeuse et insista dans son : Ma’ nan…

— Vous allez travailler ici tout ce trimestre. Donc à un moment, il faudra vous lancer.

— Ma’ nan…

— J’ai compris, et je pense que tu ne veux pas parce que tu ne l’as jamais fait…

— Ma’ nan !

La petite assemblée se moqua allègrement si bien que l’éducatrice dût intervenir avec fermeté.

— Tout le monde s’y collera, vous êtes ici pour accomplir une peine je vous rappelle et il se peut que cela vous plaise.

Ils se mirent à brailler. L’éduc présenta une paume ouverte pour les apaiser :

— J’ai bien dit il se peut que cela vous plaise, pour ce faire, il faut essayer, commencer, à toi de jouer.

— Ma’ nan…

— Ici, personne ne te fera de mal, personne ne se moquera de personne, vous êtes là pour apprendre quelque chose et je vous assure que c’est mieux que de rester enfermé entre quatre murs avec une promenade par jour. Tu veux bien prendre une bêche ?

— Ma’ nan.

— C’est l’instrument que tu vois là avec une lame quadrangulaire. Tu sais pourquoi on dit quadrangulaire ?

— Ma’ nan.

— Parce qu’il y a quatre côtés. Tu sais à quoi sert la bêche ?

— Ma’ nan.

Les autres pouffèrent, ils en ignoraient tout autant.

— Ça sert à retourner la terre sur de petites surfaces, à l’ameublir… pour la rendre plus légère si tu préfères. Et vous allez tous vous occuper pendant votre TIG de cette terre, l’ensemencer, vous allez apprendre à la connaître, la toucher, la sentir, vos mains vont souffrir, votre dos et vos jambes aussi, mais au bout d’un moment vous vous sentirez plus vivants, vous commencerez à respirer autrement, et vous ferez attention à là où vous mettez les pieds. Tu éteins cette cigarette s’il te plaît, c’est interdit de fumer ici.

— Ma’ nan ?!

— Tu prendras des pauses pour ça, et tu n’écraseras pas ton mégot n’importe où, tu vas apprendre à ne pas salir la terre, tu vas apprendre à la respecter, tu vas surtout apprendre à te respecter, toi et les autres, tu vas apprendre à ouvrir les yeux sur ce monde qui t’entoure, et je t’assure que c’est beaucoup mieux que la prison. Tu commences un peu à comprendre ?

— Un peu.

— Tu vas y arriver, et je t’aiderai, je vous aiderai. Allez on y croit messieurs…

© Louise Salmone

https://www.youtube.com/watch?v=KwwwWz6Ef3I Yann Tiersen – Porz Goret

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