Ils se sont présentés au beau milieu du repas, en pleine réunion familiale. Le jour du mariage de sa nièce.
Avaient garé bien en vue leur voiture banalisée devant l’entrée de la « propriété privée ». Pour les gadgé, la terre doit être possédée. Hérésie pour cette tribu endimanchée éparpillée parmi les caravanes, bagnoles cabossées ou rutilantes et roulottes sur un terrain qui n’a rien de vague.
Ça faisait mauvais genre cette lumière bleue qui tournoyait et le mot POLICE trop visible derrière le parebrise.
Le souffle joyeux de l’ambiance festive quelques minutes auparavant retomba d’un coup. Flop. La musique se tut sur un signe invisible.
Elle savait qu’ils venaient pour elle et fit signe aux siens de ne pas s’inquiéter. Sans que les policiers eurent besoin de lui dire quoi que ce soit, elle leur emboîta le pas en incitant sa famille à reprendre le cours de la fête, elle en aurait pour peu de temps, celui d’un tour de pâté de maisons.
Elle prit place sur la banquette arrière du véhicule de la police nationale aux côtés d’un jeune gardien de la paix débutant qui n’osait pas la regarder tant sa réputation l’avait précédée.
Sitôt la sirène et le gyrophare actionnés, ils démarrèrent.
Durant le trajet, personne ne parla, elle ne posa aucune question.
Arrivés à destination, ils descendirent avant d’aller lui ouvrir la portière.
Elle les précéda et entra dans le commissariat d’un pas claquant, les cheveux d’un noir brillant détachés, vêtue d’une chemise colorée qui ne lui couvrait pas son fessier musclé moulé dans un jean serré.
A l’accueil, un policier bafouilla avec soulagement :
— Commissaire, nous sommes désolés de vous déranger aujourd’hui, nous savons à quel point ce mariage est important, nous avons hésité, vraiment… Mais nous avons mis la main sur un drôle de lascar dans un état d’ébriété très avancé… dans votre voiture de service. Pris en flagrant délit, il soutient qu’il a agi sur vos ordres, uniquement. L’histoire l’a beaucoup fait rire. Inconnu des services.
— Où l’avez-vous mis ?
— En cellule de dégrisement, il commence tout juste à revenir à lui. Vous ne voulez pas lire le rapport ?
— Non merci.
Puis la commissaire Rodriguez s’avança vers la dernière pièce du commissariat et y trouva un homme hébété, malodorant, aux vêtements fripés, à la calvitie prononcée, au ventre proéminent, qui en l’apercevant tenta de sauter sur ses pieds, en vain, avant de s’écrier :
— Shana, te voilà enfin ! J’ai fait une bonne blague mais tes collègues ont pas apprécié.
— Bonjour monsieur, pouvez-vous me décliner votre identité s’il vous plaît.
— Shana, arrête tes conneries, le temps a passé certes, mais tu vois bien que c’est moi…
La commissaire Rodriguez lui jeta un regard chirurgical.
— Waouh, Shana, tu fous les jetons, là. Bon d’accord, t’es commissaire, et tout et tout, mais t’as pris la grosse tête aussi, et ça c’est pas bon, ça peut rider maladivement un visage. Shana, c’est moi Albert…
— Albert ?! Albert ?!
La sonorité du prénom résonna dans les méandres de sa mémoire avant de se poser sur la silhouette d’un garçon trop petit pour son âge, au collège, qui traînait toujours derrière elle à une respectable distance car alors il n’avait rien à craindre, il bénéficiait par ricochet de l’aura de Shana. Qui chercherait des noises à une jeune gitane d’une famille hautement renommée ?
— Albert ?! Mais nous n’avons jamais été amis ?
— Presque… Et j’avais envie de te revoir, j’ai suivi toutes tes affaires, t’es une grande commissaire tu sais… Alors, voilà, je voulais te dire que je ne t’ai pas oubliée et je ne suis pas surpris de la tournure qu’a prise ta vie.
— Moi non plus je ne suis pas surprise si vous voulez mon avis.
— On ne se tutoie plus ?
— Nous ne nous sommes jamais parlé, rappelez-vous. Je ne vais pas porter plainte, mais quand vous aurez entièrement dessoûlé et après avoir payé votre amende, vous retournerez chez vous et je n’entendrai plus jamais parler de vous. Monsieur, bien le bonjour.
© Louise Salmone
🖤
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Excellent 😉
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Merci, bon dimanche à vous
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Chouette, merci pour votre lecture et bon dimanche 🙂
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Je vais probablement me répéter mais je cite encore une fois ma mère qui jugeait mes entreprises souvent loufoques: « Mais où vas-tu chercher de pareilles histoires? »
Acceptez que je vous dédie ce compliment.
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Compliment bien reçu et accepté! Merci pour votre lecture, 😉 🙂
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Hihihi, toujours le petit élément inattendu qui fait le charme de vos histoires !
Bonne journée, Louise !
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😉 :-), et merci pour votre chronique d’aujourd’hui je me suis régalée avec Chopin et Schumann (entre autres…), bonne soirée (un peu en avance)
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Merci. Martin Ivanov qui nous a accompagné sur le bateau a également joué cette pièce de Liszt. 🙂
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Le bonheur ! Merci de le partager 🙂
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WordPress ne me fait pas mettre « like » sur ton blog, merci pour tous le likes que tu mets sur mon blog 🙂
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😉 🙂
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Très (télé-)visuelle cette nouvelle, avec tout plein d’ingrédients qui font le terreau des polars : du suspense, des gyrophares, des marginaux, un soûlard en cage, une touche sexy, un bon peu d’ironie et un commissaire atypique.
Un régal, quoi ! 📽😋🤓👍
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Merci beaucoup pour votre lecture et vos mots, très bon week-end
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On se dit « tu », d’accord ?
Je suis à deux doigts (deux années) d’être des vôtres 😉
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Pour le « tu », vous pouvez, oh mais oui j’aime le « vous »,mais le tu c’est bien aussi, alors je ne peux pas vous garantir que le tu primeras, je m’y efforcerai, amuse-toi bien, et ils sont chouettes aussi tes textes, je ne le dis pas à chaque fois, il est vrai,mais j’aime les lire 😉 🙂
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Toujours un régal mais je ne comprends pas pourquoi le policier dit : « L’histoire l’a beaucoup fait rire » … ?? … Est-ce une erreur de frappe, sinon pouvez-vous m’expliquer SVP … Merci à vous !!!
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L’histoire de fracturer la voiture de la commissaire a beaucoup fait rire l’auteur de l’infraction, donc le l apostrophe est l’auteur de l’infraction, tout simplement, merci pour votre lecture et le bon gâteau de ce dimanche 😉😃
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ok il rit de ses propres blagues, merci à vous !! …
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😉😃
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Quant à ton billet ‘Les amours inassouvies se dissoudront dans l’eau’, si seulement !
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🙂 🙂 🙂 très bon week-end
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