161. Les amours inassouvies se dissoudront dans l’eau

Les réunions supposées secrètes, mais auxquelles qui voulait pouvait y participer, faisaient jaser dans le coin.

Nul besoin de s’inscrire, l’information se diffusait de bouche à oreille, un jour, sans préférence particulière. Personne ne se chargeait de son organisation. La rumeur bruissait que ce jour-là une assemblée se tenait.

Des hommes et des femmes de tout âge se retrouvaient sous un arbre – remarquable en tout point qu’il soit chêne, hêtre pourpre, ginkgo biloba, marronnier, séquoia, orme, etc. Ils ne choisissaient jamais le même.

Chaque session attirait de nouveaux et de nouvelles recrues éphémères. Rares étaient celles et ceux qui revenaient deux fois.

Ils s’installaient en cercle, qui sur le sol, qui sur une chaise pliante, puis un ou une commençait à raconter une histoire d’amour débutante ou trébuchante ou hésitante ou interrompue ou jamais vécue ; puis une ou un autre prenait le relais pour narrer une histoire d’amour avortée ou atrophiée ou inversée ou imaginée ; pas une seule histoire ne ressemblait à une autre mais toutes et tous en connaissaient le parfum si dissemblable et si familier de la leur.

Il arrivait qu’un ou une préférât garder le silence. Avec patience les autres l’incitaient à mettre des mots maladroits ou sans importance ou déterminants sur une histoire qui n’avait pas pu se réaliser. Cela soulage, affirmaient-ils. Il suffit parfois d’un rien pour voir ou laisser s’échapper une histoire d’amour, un regard perdu dans la foule, un numéro jamais demandé, une pensée obsédante qui trouble le jugement, un manque de discernement, une distraction inattendue qui fait tourner la tête de l’autre côté, l’invraisemblable auquel on prête peu, voire pas, d’attention…  

Une fois les prises de paroles terminées, chacun sortait un linge propre et s’essuyait le visage avec de l’eau versée d’une bouteille qui passait de main en main.

L’absurdité de ce rituel les faisait se tordre de rire.

Et ce moment exact signait leur libération pour voguer vers des amours heureuses, histoire de changer d’air.

© Louise Salmone

https://www.youtube.com/watch?v=HUAJZHblzzI Moondog — Suite no. 1 —Calefax Reed Quintet & Stefan Lakatos

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