D’un fil ténu, du peu d’informations données par monsieur B. qui disposait d’une unique photo floue de sa femme – et l’entourage pas mieux –, à se demander si cet homme ne vivait pas avec un fantôme, j’ai pu remonter jusqu’à elle. Tout du moins, je l’espérais. Je traitais ma première affaire en solo, une disparition, une femme mariée donc, dont le mari avait commencé à très sérieusement s’inquiéter presque un mois après l’évanouissement dans la nature de sa « bougresse » comme il la surnommait. D’après ses dires, elle n’en était pas à sa première tentative d’absence prolongée, cependant, là, téléphone et carte bancaire restaient muets, et ces nouveautés l’alarmaient.
Il fit directement appel à notre officine de détectives privées. L’homme connu dans la région préférait que ne s’ébruitent pas les « fugues », comme il les appelait, de sa femme.
Me fut dévolu le dossier.
Ma p’tite Alice, pour apprendre le métier, se faire la main et l’œil, rien ne vaut une bonne affaire de mœurs, et dans deux semaines maxi vous serez de retour à la maison, soutenait ma boss.
Un mois et demi s’était écoulé et impossible d’approcher madame B. qui voyageait sous une autre identité depuis une dizaine de jours. D’information en information, je remontais des pistes, mais elle venait toujours de partir quand j’arrivais à sa destination. Elle me baladait. Je rédigeais un rapport chaque soir que j’envoyais à l’agence par voie de courriel ; une fois j’eus l’audace d’écrire que nous ferions bien mieux de laisser cette femme insaisissable aller à sa guise, me revint en boomerang un message que je supposais furieux de la boss : « Continuez à la suivre ! Le client paie, alors on ne rechigne pas.»
J’essayais d’appliquer avec discipline les astuces que m’avait inculquées la boss pour reconnaître une personne dans une foule, la filer, la loger, la prendre en photo – toujours en extérieur – mais la « bougresse » se métamorphosait en anguille glissant entre mes stratagèmes. J’avais au minimum 24 heures de retard, chaque fois.
Jusqu’à la route, toute droite, menant en Grèce. Il me semblait gagner du terrain, je ne la perdais pas de vue, bien caler derrière des voitures pour ne pas me faire repérer, mais elle se volatilisa à l’entrée de Larissa. J’en aurais pleuré. Je voulais rentrer chez moi, m’occuper d’affaire simple comme les arnaques à l’assurance, les recouvrements de créances, les querelles de voisinage, les concurrences déloyales, que sais-je encore mais pas à la traîne d’une femme qui de toute évidence ne voulait pas être retrouvée.
La nuit tombait, je me trouvais un hôtel en centre-ville et rédigeais un énième rapport où j’écrivais ce que je pensais réellement de cette filature foireuse, message auquel la boss ne prit même pas la peine de répondre.
Le cœur lourd, j’allais devoir changer de crèmerie, dommage, j’aimais bien l’ambiance de cette agence de détectives privées, je sortis. La rue frissonnait de gaieté. Il faisait très doux. Le hasard m’amena à une charmante et petite taverne où l’on m’installa en terrasse, juste aux côtés de madame S. alias B. Les deux seules touristes en cette saison. Je m’efforçais de ne pas la regarder, incapable de lui adresser la parole. Nous dînâmes sans un mot, elle comme moi, puis elle se leva avant moi et marqua une longue pause à ma table avant de me dire : « Vous lui direz que je ne reviendrai pas, je m’ennuyais tant avec lui, vous êtes la preuve que je suis vivante et que je me porte bien, je compte sur vous ; je sais que je vous ai donné du fil à retordre, j’aurais tant aimé faire votre métier, mais vous vous êtes bien défendue, vous ferez une excellente détective privée. Une dernière chose ; à vous, je peux le dire, je ne me suis jamais sentie aussi heureuse. »
Je ne la quittais pas des yeux jusqu’à ce qu’elle tourne dans une ruelle et que sa trace se perde dans la vie.
Je pouvais rédiger mon dernier rapport et rentrer chez moi.Enfin.
© Louise Salmone
Géniale histoire!
Et une leçon à retenir pour chacun de nous…
Qui n’a pas un jour décidé de disparaître? J’ajoute: Qui aurait eu l’audace de le faire?
J’ai adoré le livre de Douglas Kennedy : L’homme qui voulait vivre sa vie, mais ne veux pas raconter la mienne de vie ni donner trop de détails mais j’ai réussi, il y a 40 ans, à disparaître des radars. Plus d’adresse fixe, pas d’impôts, que du boulot au noir (noir foncé!). J’en passe.
Bon… il faut accepter de renoncer à toute assurance sociale. J’ai assumé! Normal pour un gars qui a une foi totale en la solidité de sa santé. Jusqu’à ce jour (82 balais) ça fonctionne, même si j’ai réapparu pour renouveler mon permis de conduire. Je ne voulais plus avoir l’obligation de retourner dans mon pays d’origine chaque 2 ans pour le contrôle médical demandé aux plus de 70 ans. Je voulais aussi éviter d’inquiéter un ami qui me servait de boîte postale…
Je suis redevenu un citoyen lambda, résidence en Espagne et permis de conduire du même pays.
Merci Louise, de m’avoir fait rêver avec votre histoire!
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J’ai bien aimé le récit de cette heureuse femme en fuite . Cela aura permis à la détective de sortir de sa routine et de voyager elle aussi.
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💜
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Et merci à vous pour ce brin (pour mai) de causette par nouvelles interposées, et pour votre lecture, à bientôt 😉 🙂
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C’est ça 🙂 🙂 🙂 merci à vous
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c’est très chouette Louise, très bien… Merci à vous!
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Merci pour vos lectures, et vos articles, très bonne journée
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Bravo Louise et merci ! ❤️❤️❤️
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merci à vous, et très bon week-end 🙂
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