163. Bon et maintenant ?

La maire court d’un bout à l’autre de la salle trop petite pour accueillir tout ce monde qui débarque de toute la contrée, et il en vient encore, lui indique-t-on, personne ne souhaite se dérober à cette réunion où chacun et chacune aura quelque chose à dire, sûr.

Les pour, les contre, les jusqu’au-boutistes, les activistes, les obstinés de la tradition, les timides du changement, les réfractaires au dialogue, dont certains ne se sont pas adressé la parole depuis des décennies, ont répondu à l’appel.

Il a fallu que la dernière usine soit délocalisée, emportant son lot de jeunes dans une autre région, les autres – artisans au savoir-faire perdu si on ne fait rien, étudiants et étudiantes brillants sans espoir d’avenir s’ils demeuraient ici, ayant déserté depuis longtemps –, que la porte close de l’école laisse en plan la petite dizaine d’enfants, que les villas s’arrachent à bas prix par les citadins de là-haut qui ne viendront au plus que deux mois par an, que l’hypermarché sur la grande nationale menace de faillite bergers et maraîchers, qu’un projet de parc aquatique lorgne sur les réserves d’eau,… pour mettre le feu aux poudres et qu’un esprit fédérateur germe sous la houlette de cette maire du village qui a subi le plus de dommages directs et collatéraux de la métamorphose accélérée, brusquée et saccageuse induite par des décisions économiques de profits à outrance sans réelle résonance avec les besoins d’ici et d’ailleurs : trop , c’est trop sont-ils venus clamer !

Les derniers arrivés devront assister à la réunion au dehors, plus aucune place de libre.

Birgit, la maire, une fille du pays, revenue aux sources quand elle a appris le désastre et le déclin de la place du village, des prairies et des bois de son enfance, prend la parole d’autorité. Un relatif silence se fait. Elle prône d’emblée de prendre un virage qui permettra à tous les villages alentour de ne pas mourir d’inanition dans une indifférence sidérante et qu’un effort va être demandé à chacun et à chacune.

Tollé général.

Elle doit attendre quelque temps avant de pouvoir reprendre la parole. Elle insiste : personne n’y coupera, le changement ne pourra pas se faire d’un claquement de doigts magique, pour permettre la réinstallation d’une usine qui ne pollue pas – c’est possible, ce n’est pas la peine de hurler – pour des besoins utiles et non futiles, avec un cahier des charges réaliste et non dans un accroissement impossible et sans fin, pour enrayer le vieillissement ahurissant de la population de notre contrée, pour autoriser à des jeunes sans grands moyens de s’inventer une nouvelle vie par ici pour eux, leurs enfants éventuels, donc avec une école, rouvrir la ligne de chemin de fer pour effectuer le ramassage scolaire pour les collégiens et les lycéens, pour inciter les jeunes à reprendre les échoppes des artisans, donc de cesser de vous fournir dans les grandes enseignes, personne ne peut leur faire concurrence, vous le savez bien.

Re-tollé général.

Birgit hausse le ton : si notre région ne vit pas, nous mourrons toutes et tous, alors oui il faut nous entraider, et je continue : accueillir les saisonniers en leur offrant, en plus d’un salaire décent, gîte et couvert, et peut-être certains et certaines resteront avec d’autres façons de vivre, d’autres solutions, d’autres espoirs.

Re-re-tollé général.

Birgit tape du poing sur la table : oui cela nécessitera toujours un effort d’argent, de temps, d’ouverture aussi, je vous ai prévenus dès le départ, et à nous toutes et nous tous nous pouvons nous débrouiller et y arriver. Il va nous falloir également reboiser, créer des zones interdites aux humains pour un développement véritable du monde animal et végétal. Nous sommes arrivés au point d’utopie à réaliser sous peine de disparaître purement et simplement.

Nous pourrons palabrer par la suite mais je voulais vous faire part de la « feuille de route », car il est urgent de nous sortir de notre ornière. Il va aussi falloir rouvrir la bibliothèque, le cinéma d’art et d’essai, la salle de spectacle, il n’est plus possible de rester dans un désert culturel. Vous l’aurez compris, il nous faut attirer des investisseurs comme on dit à tous les niveaux selon nos principes et nos valeurs, et cesser de subir et de faire subir.

Calme général.

Maintenant, il est temps de se mettre à l’ouvrage.

© Louise Salmone

https://www.youtube.com/watch?v=fRL447oDId4 Agnus Dei – Samuel Barber

11 commentaires sur « 163. Bon et maintenant ? »

  1. Il faudrait de Birgit au niveau national !! … Merci pour le magnifique Agnus Dei de Samuel Barber qui était joyeux, lui aussi !!! … j’en profite pour l’ajouter à mon article sur lui.

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