Les haut-parleurs du café devant lequel il l’attendait, face à la gare à l’architecture minérale imposante sous un ciel nuancé de gris, crachouillaient un « la, la, la, labadabada, labadabada, lalididididi… ».
Les chassés-croisés de piétons aux couleurs sombres évitaient – ou essayaient – les flaques de pluie que le bitume n’absorbait pas. Parfois une tache de couleur traversait en courant éclairant la rue, l’avenue, le parvis.
En vigie, il guettait toutes les sorties dont il avait une vue panoramique dégagée ; les dealers habituels des abords de la gare dormaient encore à cette heure-ci, en milieu de matinée.
Elle ignorait qu’il venait la chercher. Cela la ferait rire. Il aimait surtout la faire rire. Il imaginait les premiers mots qu’il lui chatouillerait dans le creux de l’oreille, l’odeur âcre d’un cigare lui souleva le cœur et le déconcentra un moment, la fumée s’évapora, il reprit son manège intérieur et envisagea plusieurs hypothèses… Ils prendraient un café ensemble déjà, dans celui où l’on propose différents petits déjeuners : simple ou complet ou breakfast à cause du bacon en sus ou iodé accompagné d’un verre de vin blanc et de six huîtres sans café à volonté.
Les deux aiguilles de l’immense horloge sur la grande tour indiquèrent que son train était à quai. Quelques minutes plus tard, un flot de voyageurs se déversa dans la ville. Il scannait les visages pour distinguer le sien quand il aperçut, plutôt reconnut, sa silhouette. Et quelques pas derrière, elle, celle qu’il venait chercher.
Son regard papillonnait de l’une à l’autre ; deux paires d’yeux lui répondirent de conserve, deux bouches s’ouvrirent pour manifester leur joyeuse surprise, deux mains se levèrent pour lui faire signe, deux paires de jambes s’acheminèrent vers lui…
Il ne pouvait pas fuir.
Quelle probabilité existait-il pour qu’elles se retrouvent dans le même train ? À moins qu’il ait mal lu les messages annonçant les jours et heures de leurs arrivées… Tout simplement.
Il aurait tant voulu la faire rire, l’une comme l’autre.
Possible que son humour ne passe pas cette fois-ci.
© Louise Salmone